Globalement je suis en phase avec le raisonnement de SirConstance pour la partie SaaS, même si nous sommes en opposition frontale sur Tesla, car je considère que Tesla gagne de l’argent (et donc justifie sa valorisation par l’argent qu’elle gagne déjà et celui qu’il est projeté qu’elle gagne), lui non.
Pour Etsy, l’envolée du cours cette année est à 90% justifiée : le cours fait x3 par rapport à son cours moyen 2019 (je considère la faiblesse du Q4 2019 une anomalie due à une réception fraîche du Q3 2019), mais son EBITDA aussi. Il est évident que cette croissance d’EBITDA ne se reproduira pas les années suivantes, mais on reste sur un multiple d’EBITDA à la limite haute du raisonnable (40x)
Pour Shopify : à $130B on est sur une valorisation qui aurait été vraisemblable en 2026-2027 sur la base de sa trajectoire pré-covid. C’est pour ça que je trouvais celle de l’an dernier très largement excessive, d’autant que je trouvais illusoire sa capacité à concurrencer Amazon sur la logistique avec 10x moins de capex à y investir et extrêmement risquée sa lubie de devenir aussi le banquier de ses clients - on n’est pas sur le même métier. Si cela n’avait pas été aussi cher, j’aurais shorté le titre à l’été 2019
Le covid a complètement rebattu les cartes car il leur a fait prendre en 6 mois l’équivalent d’au moins 5 ans d’acquisition clients : des millions d’entrepreneurs et commerçants à travers le monde ont dû, du jour au lendemain, se convertir à l’e-commerce, et, pour ces gens-là dans le monde occidental, Shopify était à peu près le seul acteur avec une offre aussi aboutie et clé en main. En étant déjà là, ils ont raflé à peu près la totalité du TAM, là où d’ici quelques années, d’autres (notamment Google et Amazon) auraient eu le temps d’émerger avec une offre concurrente et une autre capacité financière pour convertir.
Shopify est maintenant devenu tellement grosse que c’est le seul acteur crédible pour ceux qui ne souhaitent pas confier leur business à Amazon, et dispose de la taille suffisante pour avoir sa propre plateforme de paiement ; or, les frais de paiement représentent la principale source de coûts de Shopify (la marge des merchant solutions n’est "que" de 40% alors qu’elle est de 80% sur les abonnements). Dorénavant, un commerçant shopify peut subvenir à la majorité de ses besoins professionnels et personnels en restant à l’intérieur de la plate-forme (sans même le savoir).
Enfin, l’accélération phénoménale de la rentabilité cette année permet de dépenser beaucoup plus et de supporter des emprunts beaucoup plus importants pour déployer beaucoup plus rapidement une solution logistique compétitive avec Amazon.
Pour les stars du SaaS, il y a 2 différences majeures avec Amazon/Google/Apple/Microsoft/FB de l’époque :
- le taux de marge brute, entre 75 et 90%, est bien plus élevé que chez ces historiques, qui tour(ai)ent autour de 40-60%. Donc chaque dollar incrémental de revenu en SaaS rapporte presque 2 fois plus qu’un dollar incrémental GAFAM ; à taux de croissance comparable, il est logique que P/S soit supérieur pour ces nouveaux acteurs vs GAFAM. Pour des sociétés encore en pleine croissance qui investissent beaucoup en capacité et R&D, leur cash conversion est déjà monstrueuse (cash opérationnel/CA) : 25% chez Zscaler, plus de 30% chez Crowdstrike par exemple, et en augmentation, forcément. Pourtant, en US GAAP, elles affichent des pertes, et un taux d’EBITDA bien inférieur : la magie des stock-compensation expenses et de travailler avec un BFR négatif.
- à l’époque (c’est moins vrai aujourd’hui pour Amazon, Google et FB), tout nouveau client GAFAM, qu’il soit particulier ou professionnel, pouvait s’arrêter là et après coup se fournir chez la concurrence. Aller dans un magasin physique ou un autre e-commerçant pour Amazon, utiliser une autre régie publicitaire voire un autre moteur de recherche pour Google, acheter de la publicité sur un autre réseau social ou des bannières sur des sites plutôt que sur FB, retarder au maximum l’achat de nouvelles licences Windows/Office (if it ain’t broke, don’t try and fix it) ou utiliser Linux ou Sun pour les serveurs. A l’inverse, un nouveau client SaaS est à peu près complètement captif pour très très longtemps si la prestation est adéquate. Personne ne lance de transition technologique si la solution actuelle est adaptée ou "good enough" ; et, une fois captif, tout client est très réceptif à de l’upsell
Ces 2 raisons expliquent que les P/S soient plus élevés que ceux que l’on a pu connaître pour les entreprises 2.0 (2005-2013). Cela étant dit, à leur niveau de prix actuel, toutes ces boîtes : Twilio, Okta, Mongodb, Fiverr, Upwork, Cloudflare, Cloudstrike, Blackline, Coupa, Hubspot, Docusign, Teladoc, Five9, Ringcentral, Fastly, Zscaler… et dans une moindre mesure Roku, Veeva et Service Now, bref, tout ce qui a pu assurer une très forte surperformance cette année par rapport au Nasdaq 100 (sans parler du MSCI World ou du S&P500), sont à mon sens surévaluées d’au moins 2 à 3 fois.
Car, comme l’a bien souligné SirConstance, ces boîtes sont déjà toutes valorisées plusieurs dizaines de milliards, et leur TAM n’est pas si dantesque que ça.
Pour Zoom : c’est une utility, c’est-à-dire le truc que tout le monde utilise parce qu’il faut bien mais sans trop y penser, à valoriser comme telle. Post-Covid, j’estime leur TAM couvert à 80%. Avec 80% du TAM couvert, ça sort +- $2B de FCF, donc à 100% ça doit sortir $2.5B. Il existe toujours la possibilité de faire de l’upsell et du RGM avec les clients, mais je pense aussi qu’il y aura une déperdition importante vers Teams, Google et Slack qui présentent l’avantage d’une solution entreprise intégrée, quand la réflexion l’emportera sur la panique.
Une utility avec un FCF en croissance modérée, ce que sera zoom après 2021, ça se valorise en étant gentil 20x le FCF. Donc 2.5 x 20 = $50B vs une VE à $115B. Dommage qu’avec un cours à $400 l’achat de puts soit inaccessible au commun des mortels sauf à tomber à un strike proche du cours fair value, ce qui rend le short stupide.
Tout cela ne m’empêche pas d’être actionnaire (à très faible dose) de toutes (sauf Zoom), et de prendre des profits de temps en temps (pas toujours évident quand une seule action cote plusieurs centaines de $), car tant que la musique joue, autant danser
Edit : à ceux qui ont lu la première mouture du message, relisez-le, j’ai rajouté des choses 
Dernière modification par corran (08/12/2020 22h43)