Bonjour Bifidus,
ça fait vraiment plaisir de vous lire, et encore plus sur ma file de portefeuille ! Je dois avouer que vous êtes (manifestement comme pour beaucoup d’autres ici) l’une de mes inspirations principales sur ce forum s’agissant de l’investissement en actions. J’ai méthodiquement remonté vos interventions ces dernières années pour en tirer des indications intéressantes pour la construction de mon portefeuille, et j’ai rarement été déçu par les valeurs "bifidiennes" ! (Et j’en profite pour me faire le porte-parole de beaucoup, et peut-être même de tous, ici, pour dire que vos interventions sont toujours très appréciées et qu’on les espère moins rares, même si c’est évidemment la liberté de chacun d’utiliser ce forum comme il l’entend.)
Merci pour vos commentaires aimables à mon endroit, même s’ils ne sont sans doute pas totalement mérités, car j’ai beaucoup de progrès à faire notamment sur l’analyse des entreprises - qui est quand même la base du "métier" (c’est une de mes pistes de développement de creuser davantage ces analyses et de soumettre mes conclusions à la critique du forum). Et puis, si j’ai acquis par mon activité professionnelle une bonne culture financière générale, je manque de recul et d’expérience comme boursicoteur (sans compter de grosses lacunes comme la fiscalité, où Parisien, notamment, excellait/excelle).
Pour en venir à la gestion de portefeuille, effectivement il y a beaucoup de similarités entre nous sur la diversification, l’approche "pointilliste" et le type de valeurs choisies (je ne parle pas de mes merveilleuses biotechs, hein). La différence principale est effectivement votre gestion active de vos lignes (aller-retours par petites touches) contre mon approche passive (buy and hold). Voir que vos aller-retours améliorent vos performances (ça semble aussi être le cas pour Simouss) me fait réfléchir.
L’approche passive que j’ai suivie jusqu’à présent s’explique par les considérations suivantes :
1) A la base, mon objectif c’est d’accompagner les industriels français dans la construction de leur richesse. J’avais été frappé par la belle progression des 500 plus grandes fortunes françaises ces 20 dernières années (bilan fait par Challenges) : il s’agit pour moi de répliquer à mon petit niveau cette évolution, en "collant" à la performance des belles entreprises françaises, comme un rémora colle à un requin blanc (c’est aussi pour ça que je suis diversifié : pas question de louper une success story française). Donc je vois mon portefeuille comme la coagulation de mini-portefeuilles d’un Arnault, Bolloré, Pineau etc. D’où l’approche buy and hold (un choix pour moi, une obligation pour eux).
2) J’ai une sainte horreur des pertes "certaines" que représentent les frais de transaction et les impôts sur plus-values de cession (sur CTO), ce qui me conduit aussi à préférer le "buy and hold".
3) Pour l’instant, la taille de la plupart de mes positions me semble trop modeste pour faire des aller-retours qui "vaillent le coup".
4) J’ai de gros doutes sur ma compétence de trader (j’ai été quelque temps un trader FX plutôt médiocre en début de carrière), je suis plus confiant dans ma capacité à identifier de bonnes entreprises. Et puis, malgré ma suractivité dans le stock-picking, je suis plutôt paresseux dans le suivi de mes positions (sauf lorsqu’elles s’effondrent).
5) Pour des raisons "historiques", la construction de mon portefeuille n’a pas été optimale, puisque j’ai commencé par un CTO (qui reste le coeur du portefeuille) chez une banque chargeant des frais de transaction importants (depuis tout a été transféré chez sa banque en ligne avec des frais plus raisonnables, et mes apports se concentrent sur le PEA & PEA/PME). Donc cette situation de départ n’était pas favorable à une activité de trading à cause d’un frottement important (frais + fiscalité).
Cela dit, je vois bien que sur des actions "stables" comme celles que vous citez, des aller-retours semblent une stratégie intéressante. Je prévois de réserver sur mon PEA (pour éviter le frottement fiscal) un espace d’au moins 50k€ initialement à de "grosses" positions (disons 10k€ par ligne) pour quelques valeurs de ce type : disons Total (j’ai déjà fait un aller-retour en raison de contraintes de liquidités), Air Liquide, Vinci, et peut-être AXA, BNP Paribas et Scor. J’expérimenterai les aller-retours sur cette poche et, si cette méthode fonctionne aussi pour moi, envisagerai de l’étendre à tout le PEA et PEA/PME (mais a priori pas aux CTO, qui resteront a priori buy and hold pour des raisons fiscales).
Votre question sur que faire lorsque le marché dévissera est la plus complexe pour moi et je n’ai pas de réponse définitive. Pour l’instant ma réflexion est la suivante :
- Je vois bien l’intérêt de liquider entièrement le portefeuille le temps que la correction s’effectue, mais (1) ça me semble très difficile de différencier corrections passagères (comme celle de début février) des corrections majeures, et (2) le coût fiscal de la liquidation (un coût "certain") est important.
- Dans l’impossibilité d’identifier le timing et l’amplitude de la correction à venir, mon approche consiste essentiellement à sélectionner des entreprises de qualité, et à surpondérer des secteurs défensifs dont je pense qu’ils résisteront bien à un retournement économique.
- Plus généralement, j’essaie de dimensionner mon portefeuille boursier, au sein de mon patrimoine total, pour que la perte en cas de krach soit psychologiquement et financièrement soutenable. Mais je ne suis pas très confiant sur les prix de l’immobilier, voire même sur le risque souverain en zone euro… De ce point de vue (la sécurité, pas seulement la performance), je ne suis pas enthousiaste sur les solutions alternatives aux actions.
- Je réfléchis à l’utilisation de produits de couverture et/ou de hedges naturels, mais pour l’instant je n’ai pas vraiment de solution convaincante, en raison des inconvénients du BX4 (beta slippage), du caractère contra-cyclique aléatoire de l’or et des minières aurifères… Mon idée est de constituer une poche contra-cyclique, dont la taille augmenterait rapidement, selon ma probabilité estimée de krach (sur la base, par exemple, d’indicateurs économiques avancés). Mais la réalisation de cette idée est plus compliquée…
- Je suis investi à 100%, avec un portefeuille boursier qui représente un gros tiers du patrimoine total. Je considère / j’espère que mes revenus professionnels (j’ai un fort taux d’épargne) et éventuellement, mes fonds €, constituent une source de liquidité suffisante en cas de krach. Mais c’est vrai que mon portefeuille boursier ayant pas mal grossi, il en est de même du besoin de protection… Je vais réfléchir aussi sur ce point.
C’est ma réflexion sur le sujet pour le moment, mais je n’exclus pas de changer d’avis un jour. Cela dit, je me vois mal me débarrasser en panique de mes LVMH et Air Liquide en cas de krach… Professionnellement, j’ai été très marqué par la crise de 2007-2008 puis 2010-2012 : tant que les banques et les souverains (les piliers du systèmes) ne sont pas touchés, j’aurai tendance à rester confiant, je pense. Je surveille particulièrement les banques, qui me semblent des indicateurs avancés d’une éventuelle prise de risques excessive, et d’un retournement de l’économie.
Sur l’efficience des marchés, comme vous l’avez bien compris, je rejoins votre avis. En règle générale, je ne pense pas que sur des valeurs ciblées par de multiples investisseurs professionnels il puisse y avoir de grosses inefficiences de marché, de façon persistante. L’investisseur amateur a rarement raison contre le marché sur des valeurs de taille et de liquidité suffisantes. Quand je vois une suractivité des amateurs (Boursorama etc.) sur une valeur dont la taille justifierait des investissement par les fonds, et qu’aucun fonds ne la choisit, j’interprète ça comme un signal négatif. Par ailleurs, la volatilité des prix peut tout à fait s’expliquer sous l’hypothèse de marchés efficients - particulièrement dans un environnement de taux bas, où de légères révisions des perspectives de croissance à long-terme et des primes de risque peuvent entraîner de fortes fluctuations des valorisations.
En revanche :
- Si les marchés sont à peu près efficients pour pricer le risque idiosyncratique, ils peuvent se tromper durablement dans le pricing du risque systémique (d’où les bulles et krachs excessifs).
- Sur des petites valeurs illiquides (micro / nano caps), on doit pouvoir trouver des inefficiences de marché. J’ai quelques lignes sur l’Alternext, avec des résultats aléatoires jusqu’à présent. (Des valeurs comme Neocom Multimedia et Securinfor, par exemple, étaient manifestement sous-évaluées par inefficience de marché.)
Enfin, sur l’exigence de surperformance, vous avez sans doute raison : il ne faut pas être trop ambitieux, surtout en début de "carrière" de boursicoteur. Fructif présente des arguments convaincants sur les ETF, ça met un peu la pression pour les gestionnaires de portefeuilles de titres vifs comme moi…
J’ai évidemment de multiples biais, qui ne sont pas forcément des handicaps mais qui influencent évidemment mon comportement d’investisseur :
- le "biais de l’analyste" : étant ingénieur de formation, banquier central de profession et joueur d’échecs par passion, et étant par ailleurs privé de toute "intuition", j’ai tendance à toujours tout évaluer et analyser (je fais ça depuis toujours). Mon portefeuille n’y échappe pas. Mais c’est vrai qu’il s’agit en grande partie d’une déformation psychologique, celle du bon élève qui se rassure parce qu’il a "bien fait ses devoirs" (alors que la bourse, et la vie, plus généralement, ne marchent pas comme ça, évidemment).
- le goût de l’expérimentation : comme vous l’avez bien compris, c’est aussi par intérêt intellectuel que j’expérimente (une autre raison pour la diversification). Désormais je pense me freiner un peu sur la multiplication des lignes, et plutôt expérimenter sur des approches différentes de la mienne, via des "poches" dédiées dans mon portefeuille : (1) la réplication des lignes principales de bons fonds (comme "la méthode Nor" sur le top 5 I&E), (2) les aller-retours sur des valeurs stables ("la méthode Bifidus"), (3) la poche contra-cyclique (surtout de l’or et des minières aurifères, a priori) sont notamment au menu des prochains mois ;-)