Je vois que mes quelques lignes ont fait couler beaucoup d’encre, le sujet a l’air d’intéresser donc je vais clarifier mon point de vue et proposer en même temps quelques éléments de réponses dans un message séparé.
1. La premier point qui attire mon attention à la lecture du forum ces dernières semaines, c’est le retour d’un biais identique à celui qu’on avait vu pendant le Covid, à savoir la recherche de corrélation entre la valorisation du marché et l’état de l’économie réelle. Fin mars 2020, beaucoup sont restés sceptiques devant l’envolée du marché, qui ne faisait aucun sens à leurs yeux car le monde était confiné, l’économie à l’arrêt, les hôpitaux débordés, etc. Or, le rallye, l’expansion des multiples et la folie spéculative qui s’en sont suivis n’ont qu’une seule explication : la politique monétaire hyper accommodante des banques centrale, qui a été déjà longuement débattue ici. La politique monétaire a un rôle déterminant dans le désir ou non de prise de risque par les participants de marché, donc, entre autres, sur la valorisation des marché.
2. Ces derniers mois, les matières premières se sont envolées, tout comme l’inflation, nous étions donc dans une situation où la FED se devait de réagir en resserrant sa politique monétaire après avoir retardé le plus possible ce moment ("transitoire", etc.). La tendance a changé ces dernières semaines avec la chute des matières premières, caractéristique d’un ralentissement économique imminent, et semblant confirmer les points de vue de certains économistes qui évoquaient la possibilité d’une récession aux US (qui se définit par deux trimestres consécutifs de baisse du PIB). Hausser les taux en pleine récession, c’est compliqué, et si l’inflation se tasse, il y a moins de raisons de le faire. Une récession quasi certaine, et une inflation dont le pic semble être en cours ou derrière nous : il me semble donc que nous aurons, dans un futur plus ou moins proche, une configuration qui pourrait encourager la FED à mettre en pause son programme de resserrement quantitatif.
Le marché semble également d’avis que la FED aboie plus qu’elle ne mord : alors que le Dot Plot de la FED affiche 3.80%, le marché obligataire price 2,75% :
3. Or, le pivot dovish de la FED lorsqu’il arrivera, ce sera le feu vert pour les actifs à risque. Il est donc logique que certains acteurs cherchent à "front-runner", à anticiper cet évènement pour pouvoir acheter le plus bas possible. N’oublions pas que la bourse est un marché d’anticipation, lorsque la bonne nouvelle est connue de tous, elle est déjà dans les cours. Or, nous avons reçu ces 15 derniers jours deux signaux extrêmement puissants laissant peut-être apercevoir la lumière au bout du tunnel en ce qui concerne la fin du resserrement monétaire de la FED (suite de la discussion sur ce sujet au point 7).
4. Un point important concernant le positionnement, un aspect où il est généralement payant d’être contrariant :
Tout le monde est bearish et pense que le marché va continuer de baisser, la presse financière (NY Times, Bloomberg, Barron’s, WSJ) affiche des titres terrifiants, les pessimistes vivent leur heure de gloire comme pendant le Covid : bref, ici aussi, tout les voyants sont au vert, au moins pour un puissant rallye :
Concernant les "points d’entrée cible" que je lis sur internet : des objectifs fantaisistes fleurissent en ce moment, mais un consensus semble se dégager vers un point bas du SPX à 3500, ce qui me laisse penser qu’il n’arrivera jamais vu la quantité de cash non-investie :
J’ai encore plein d’autres graphiques pour quantifier le pessimisme des acteurs de marché mais je pense que celui-ci devrait suffire, il s’agit du modèle Panic/Euphoria par Citi :
5. Le positionnement en lui-même est extrêmement intéressant d’un point de vue contrariant là aussi, avec les commercial hedgers (ceux qu’il faut suivre) qui sont ultra-long et les hedge funds (ceux qu’il ne faut pas suivre) qui sont net short.
Commercial hedgers
Hedge funds
6. Enfin, au niveau des valorisations, je trouve qu’on commence à être pas mal, avec un P/E de 15,8 pour le SPX, contre une moyenne à 5 ans de 18,6 et une moyenne à 10 ans de 16,9. Les small et mid-caps semblent elles aussi, correctement valorisées à un horizon long terme :
Un point en suspens reste toutefois la question des estimations de bénéfices qui ne semblent pas pour l’instant prendre en compte l’hypothèse de cette récession. Les choses peuvent se dégrader de ce côté là.
Tactiquement, les 3 semaines prochaines vont être intéressantes, on entre dans la black-out period, donc potentiellement de meilleurs points d’entrée car moins d’acheteurs (pas de buy-backs).
7. A garder à l’esprit toutefois et pour ne pas faire preuve d’optimisme béat, bien que l’inflation laisse deviner des signes encourageants, son niveau est pour l’instant toujours loin de celui qui pourrait provoquer un revirement de la FED. Pire encore, si l’inflation se maintient alors que la croissance continue de se détériorer, nous avons là un scénario qui sera extrêmement désagréable pour les actifs à risque. Les risques sont réels et il faut bien prendre conscience que le marché n’a pas chuté sans raison, ce qui devrait donner du baume au cœur aux pessimistes.
X. Les décisions que je prends sont adaptées à mon profil de risque et mon horizon d’investissement. Je me sens plus à l’aise en restant investi quitte à devoir faire le dos rond pendant une période plus ou moins longue, plutôt qu’à regarder le train partir sans moi si une bonne nouvelle imprévue devait se produire. Je comprends que ce ne soit pas le cas de tout le monde mais il me paraît intéressant d’apporter en cette période sombre, un autre regard sur les marchés. Pas sûr que soit venu le moment d’hypothéquer la maison pour faire all-in, mais clairement, le marché se regarde et me paraît "investissable" alors que ce n’était pas le cas il y a 6 mois.