2. La constitution du portefeuille
2.1. Le cycle de peuplement du portefeuille
J’espérais initialement constituer le portefeuille en 2 à 3 mois. Il m’en a fallu 15 au final.
Le premier constat est le volume réduit d’opportunités d’investissement.
Bien qu’abonné à une dizaine de plateformes, je recevais tout au plus 2, rarement 3 dossiers par semaine. Les 4 plateformes les plus actives sont Fundimmo, Homunity, Koregraf et WeShareBonds.
En 2ème : les dossiers sont peu diversifiés.
D’un côté, le crowdlending immobilier, qui se distingue en deux grandes familles :
- le refinancement de chantiers faiblement commercialisés, à des taux élevés (8 à 11%) sur des périodes généralement courtes (12 à 24 mois)
- quelques belles opportunités de chantiers attractifs (belle localisation, record track du promoteur de qualité) mais portés par des opérateurs (holdings) déjà très endettées car engagés sur d’autres chantiers en parallèle. Dans ces cas les taux étaient moyens (6% à 8%) sur des périodes plutôt longues (24 à 36 mois).
De l’autre côté, du crowdlending de PME désireuses de financer leur croissance sans diluer leur capital, sachant qu’elles peinent à obtenir des emprunts bancaires classiques. Les taux sont relativement bas (4 à 8%) sur des maturités variables (12 à 48 mois).
Sur ce segment spécifique, WeShareBonds fournissait les dossiers les mieux documentés, jusqu’à début 2020. A compter du printemps 2020, Investbook, nouvel entrant sur le marché, a montré un beau potentiel.
En 3ème : l’évaluation du risque pour l’investisseur est peu outillée et la valeur ajoutée de la plateforme plutôt limitée.
Je tiens à saluer WeShareBonds pour le sérieux des évaluations. C’est l’un des seuls opérateurs à indiquer clairement : "niveau de risque = C-" pour des dossiers clairement pourris. Les autres ont tendance à présenter les dossiers de manière lisse et positive. Il ne faut pas faire l’erreur de les considérer comme des tiers de confiance mais bien comme des grossistes de produits financiers.
Ce constat impose de se faire soi-même sa propre évaluation et choisir les dossiers sur lesquels vous investissez. Je pense que la stratégie qui consiste à investir de faibles sommes sur tout ce qui bouge, en espérant moyenner son risque, est perdante.
Enfin, les calendriers s’étirent en longueur.
Entre le moment où vous décidez d’investir sur une ligne et le moment où les intérêts commencent à courir, il peut se passer 6 semaines, et même jusqu’à 3 mois. C’est un délai pendant lequel les fonds ont été transférés vers la plateforme, mais qui ne vous rapportent rien.
Cette période est un délai de sous-performance masqué, jamais évoqué par les plateformes, mais qui vient grever la performance réelle des produits.
Et je découvre ces derniers jours que c’est la même chose à la sortie. L’emprunt expire le 30 juin, mais les fonds sont reversés le 1er septembre, pour de prétendus délais administratifs. C’est à nouveau 2 mois d’intérêts de perdus.
Morale : quand vous voyez un investissement sur 12 mois à 10%, sachez qu’en réalité vos fonds seront bloqués 15 à 16 mois, pour des intérêts courant sur 12 mois. La performance brute est donc davantage un 7.5% qu’un 10% ….
Ce constat incite donc à privilégier des durées d’emprunt plus longs.
2.2. La gestions des incidents de parcours (*spécial Covid*)
Il y a trois catégories de plateformes :
1) Celles qui vous tiennent au courant de la situation de vos investissements, et en particulier de l’avancée des chantiers (lending immobilier).
La palme revient à Homunity, Koregraf et Gwenneg, dont vous lisez toujours avec grand plaisir les rapports fréquents "jusqu’ici, tout va bien !" ou "remboursement échéance".
Ca ne signifie pas qu’il n’y aura pas de belles déconvenues à la fin. On verra cela dans quelques mois.
2) Celles dont vous n’entendez jamais parler.
Ni le site web ni les emails ne vous renseignent sur l’évolution des projets sur lesquels vous avez investi. Il vous reste à attendre le débouclage des opérations, en espérant que tout ira bien et que vous récupérez vos fonds et, tant qu’à faire, les intérêts associés.
Dans cette catégorie, Fundimmo a un site vraiment mal fait. L’information, parcellaire, existe mais elle n’est pas accessible depuis son portefeuille, si bien qu’il est fastidieux d’essayer d’évaluer la situation.
3) Celles qui vous annoncent de mauvaises nouvelles, mais qui vous expliquent que c’est pour votre bien….
C’est l’occasion d’évoquer le comportement de deux plateformes : WeShareBonds et Wiseed.
Sur la période avril - juin 2020, elles ont toutes les deux soutenu activement les entreprises emprunteuses dans la mise en place de la neutralisation des dossiers d’investissement, pour cause de covid. C’est ainsi que la moitié des emprunts souscrits auprès de ces plateformes ont fait l’objet d’une AG, co-organisée par la plateforme (!?), repoussant de 6 mois (et jusqu’à 24 mois pour l’une d’entre elles) les échéances d’emprunt et les remboursements.
Le différé de remboursement peut s’expliquer, afin d’éviter des défaillances et finir en procédure collective avec bien peu de chances de récupérer sa mise. La neutralisation des intérêts sur la période, en revanche, s’explique nettement moins, d’autant que les entreprises ont pu bénéficier de différents dispositifs de soutien de l’Etat (PGE, chômage partiel, différé voire neutralisation de charges sociales et fiscales), contrairement aux investisseurs.
Contactée, WeShareBonds m’a répondu directement par le biais de son PDG, avec une réponse circonstanciée et presque convaincante.
Wiseed, en revanche, s’est avérée beaucoup moins pro et n’a pas daigné justifier son positionnement.
Sur le moment, c’est particulièrement désagréable pour l’investisseur de constater que la plateforme, là encore loin de jouer le rôle de tiers de confiance neutre entre emprunteur et prêteur, penche clairement du côté de son client, l’emprunteur. Sur la durée, il faudra voir si la réponse s’est avérée la bonne pour éviter les défaillances et les pertes sèches, ou si les emprunteurs y ont vu une simple opportunité d’abaisser le coût de leurs emprunts, avec la bénédiction des plateformes.
Prochain épisode : le détail du portefeuille au 31 juillet 2020, et mes réflexions sur la difficulté d’organiser le pilotage de son portefeuille de titres crowdlending