1) Les faits sont têtus, et en matière budgétaire il y a bien longtemps que la France n’a pas dérogé à son statut de cancre.
- La France est championne du monde de la dépense publique, et alors que la plupart des pays de l’OCDE ont réussi à abaisser leurs dépenses publiques depuis la crise de 2008-2009, ce n’est pas le cas de la France. (General government, en jargon OCDE, comprend non seulement l’Etat mais aussi tous ses démembrements.)

- Le surplus de dépenses publiques en France par rapport aux pays comparables de l’OCDE ne se justifie pas par une meilleure qualité des services publics. Voir par exemple l’étude Government at a Glance de l’OCDE. Nous avons en gros des services publics de qualité comparable à l’Allemagne, aux pays scandinaves, au Canada - avec un coût bien plus élevé, signe de mauvaise gestion publique.
- L’Etat français investit de moins en moins, et moins que la moyenne de l’OCDE, puisque la mauvaise gestion publique se manifeste par des dépenses de fonctionnement excessives.

2) Les optimistes sur cette file me semblent négliger quelques évidences importantes :
- La compétition entre émetteurs obligataires souverains est mondiale : si la dette publique française devait un jour apparaître comme une dette assez risquée (pour des raisons politiques, économiques et/ou simplement en raison du maintien indéfini de la politique d’irresponsabilité budgétaire), avec des rendements artificiellement bas (par exemple en raison du QE de la BCE), les investisseurs iraient voir ailleurs. Rien ne garantit que le statut privilégié des émetteurs obligataires souverains européens, dont ils ont joui depuis des décennies, se maintiendra à l’avenir, dans une compétition mondiale où de nombreux Etats semblent mieux gérés que la France.
- L’appétit pour le risque des investisseurs n’est pas constant : le marché obligataire est plus "directionnel" encore que le marché boursier : s’il décide un jour, à tort ou à raison, que la dette publique de la Grèce, de l’Italie, de l’Espagne ou de la France est insoutenable, il sera très difficile de le convaincre du contraire. La situation actuelle de la France n’est pas dramatique, mais notre marge de sécurité (mesurée par l’écart entre le ratio dette publique / PIB et le niveau jugé inacceptable par le marché, par exemple) s’est réduite. Plus que cet affaiblissement, ce qui est inquiétant c’est l’auto-satisfaction des pouvoirs publics, tout heureux d’afficher impunément année après année des déficits >3% PIB, sans en saisir les conséquences à long terme.
- Dans le contexte de la zone euro, la France est privée de 2 leviers essentiels permettant de dégonfler la dette publique. Face à une dette publique insoutenable, un Etat peut recourir à 4 mesures différentes : (i) austérité, (ii) inflation, (iii) monétisation (achat de la dette par la banque centrale), et (iv) haircut (défaut ou restructuration de la dette). En raison des Traités européens et notamment des Statuts de la BCE, (ii) et (iii) ne sont pas possibles dans le contexte de la zone euro : définition d’une cible d’inflation fixe (moins de 2% par an) et interdiction du financement monétaire des Etats. Si la dette devenait un jour insoutenable il ne resterait donc le choix qu’entre (i) et (iv) : l’austérité ou le défaut.
- Une dette publique excessive a un coût économique massif bien avant qu’un risque de défaut n’apparaisse. Ce n’est pas étonnant de constater que les Etats les plus endettés de l’OCDE ont les taux de croissance les plus anémiques. Quand on oblige l’économie productive à financer une sphère publique obèse et mal gérée, on pénalise les entreprises nationales dans la compétition mondiale. Nous subissons déjà ce coût permanent en France. Nul besoin de crier au risque de défaut (effectivement faible pour le moment) pour tirer la sonnette d’alarme.
3) Le consentement à l’impôt n’est pas inconditionnel.
Perso je n’accepte de payer des impôts que si 3 conditions sont réunies :
a) légitimité du pouvoir
b) moralité des actions engagées par l’Etat
c) gestion saine des deniers publics
Certes, il ne faut pas interpréter ces conditions de façon trop rigoriste (c’est-à-dire que j’accepte de payer des impôts même si l’Etat conduit des politiques que je juge mauvaises mais pas immorales, puisque j’accepte le jeu démocratique), mais si les violations de ces conditions sont caractérisées je me considérerai libéré de toute obligation fiscale.
Si l’une de ces conditions n’est pas réunie, la résistance fiscale, forme de désobéissance civile, devient non seulement légitime, mais aussi juste et morale (cf. Thoreau).
Heureusement en France nous n’en sommes pas là, mais en matière de gaspillage des deniers publics et en matière de régularité des élections, je serais plutôt vigilant.