Bon, j’ai l’impression qu’avec tous les +1 récoltés par Scipion, mon message va tomber comme un cheveu sur la soupe, mais tant pis, je compte sur l’ouverture d’esprit des participants de ce forum. Je ne retrace pas mon roman familial, mais j’ai plus qu’une vague idée de ce que peut être le désespoir des espaces ruraux (surendettement d’exploitant agricole par exemple).
Peut-on écrire encore un message à teneur (modestement) politique sans qu’il comporte les mots "Jupiter", "mépris de classe", "petit peuple", "à la solde de", "bobos"? En général je m’arrête à la lecture d’un article comportant l’un de ces mots, car cela annonce le simplisme et en tout cas l’impossibilité d’y répondre sans être aussitôt taxé justement de "jupitérien", "méprisant", "bobo", "à la solde de Micron/Macrotte/Macaron" ou je ne sais quel sobriquet de haute volée.
Je suis donc un peu surpris de les trouver sous le clavier de Scipion8, dont la teneur du message, impeccablement écrit et présenté (ce qui n’est pas le cas de ceux auxquels je faisais allusion plus haut), ne laisse pas que de m’étonner.
Scipion8 a écrit :
1) Le problème économique, c’est à mon sens bien sûr la pression fiscale, énorme en France. Elle n’a cessé d’augmenter, particulièrement sous Hollande. Depuis Sarkozy, aucun effort n’a été fait pour réduire les dépenses publiques. La décentralisation s’est soldée par une sphère publique encore plus obèse.
D’accord avec vous sur la pression fiscale! Mais les "gilets jaunes" réclament aussi des postes, des maternités, des médiathèques partout et soutiennent leurs élus locaux sur ce point. Comment répondre à des injonctions contradictoires (moins d’impôts - plus d’hôpitaux)?
Scipion8 a écrit :
Les Français écrasés d’impôts voient leurs dirigeants politiques vivre confortablement : à l’échelle des dépenses publiques totales, ce sont des dépenses symboliques - mais insupportables.
Les différentes lois sur le cumul des mandats et sur la réduction des indemnités gouvernementales font que le train de vie du personnel politique a baissé: rien à voir avec un J. Chirac par exemple (je ne parle pas des à côtés). Pour autant la perception de la population est toujours aussi négative, et le restera quoi qu’on fasse (du reste J. Chirac est paradoxalement perçu comme éminemment sympathique et proche du "peuple").
On disait auparavant que l’autre grand problème était le manque de renouvellement de la classe politique, mais on voit que même de jeunes gens ou des personnalités issues de la société civiles sont couverts du même opprobre.
Je crois que désormais la représentation de l’homme politique comme un satrape vivant grassement est bien enracinée, quelle que soit la vérité de l’assertion, de même par exemple qu’un avocat est nécessairement cousu d’or, ce qui ne correspond plus du tout à la réalité de la profession. Je suis moi aussi heurté par la lecture hebdomadaire (depuis 25 ans) du "Canard enchaîné" qui révèle tel ou tel arrangement permettant le versement d’une rémunération considérable, mais je me demande vraiment si légiférer changerait quoi que ce soit: les jeunes députés macroniens gagnaient plus ailleurs, ne donnent pas (encore?) dans la multiplication de jetons de présence qui augmentent les traitements mais sont déjà honnis.
Le problème, que vous percevez bien, est que le coût est symbolique, mais que pour bon nombre d’électeurs (y compris cultivés, titulaires d’un doctorat), supprimer le Sénat et diminuer par deux les indemnités des élus suffiraient à régler tous les problèmes. Il y a là un malentendu à la source de beaucoup d’incompréhensions dans le débat actuel.
Scipion8 a écrit :
On voit des dépenses somptuaires pour le decorum de l’Etat, pour des choses franchement pas nécessaires de la part d’un Etat qui se mêle de tout et n’importe quoi. Le mouvement des Gilets Jaunes aura au moins pour grand bénéfice de révéler de la façon la plus nette le ras-le-bol fiscal des Français, ce qui devrait rendre tout gouvernement futur plus prudent dans le gaspillage de l’argent public. L’Etat doit se recentrer sur l’essentiel. Il y a quand même une grande incohérence dans l’attitude de beaucoup de Français, qui se plaignent à raison d’une charge fiscale excessive, inégalée dans le monde, mais dans le même temps votent, élection après élection, pour des socialistes ou assimilés, dont la dépense publique est l’alpha et l’omega.
Si ce mouvement révélait une prise de conscience, je serais d’accord, mais j’ai surtout l’impression qu’il conforte l’illusion que tout sera finançable en taxant "les 1%"; cela avait fait le succès de Fr. Hollande et cela permet à des gens gagnant 3/4000 euros par mois de se présenter en toute bonne conscience comme des gens modestes ou de la classe moyenne. C’est une trouvaille politique en tout cas.
Scipion8 a écrit :
2) La crise politique, c’est le résultat d’un défaut de représentation d’un part croissante de Français dans la sphère politique :
- Dans une démocratie qui fonctionne bien, le pouvoir tient compte des résultats, des préoccupations exprimées par le vote. A quel niveau dans les votes faudra-t-il voir l’extrême-droite avant que la demande d’une maîtrise de l’immigration soit prise en compte ? En France, on a pris l’habitude de traiter 20% du corps électoral comme des pestiférés, dont on décide a priori que leur opinion ne compte pas. On peut désormais élargir ce raisonnement à la gauche façon Mélenchon - qu’on peut critiquer mais dont les électeurs expriment un désir légitime de justice sociale. C’est 40-45% de l’électorat (davantage si on compte beaucoup d’abstentionnistes dégoûtés du fonctionnement de notre démocratie) qui est royalement méprisé par l’élite au pouvoir, en toute bonne conscience. Ce sont aussi les moins favorisés économiquement, les perdants de la mondialisation. Et ils ne devraient pas être en colère ?
Comment concilier les 20% de M. Le Pen et les 20% de M. Mélenchon (j’arrondis) dans l’élaboration d’une politique migratoire? Je serais vraiment favorable à ce qu’il y ait une sorte de "carré magique" comme en Suisse, réunissant différents partis, mais le système français l’empêche complètement. Fr. Hollande, qui n’avait pas fait mieux que E. Macron au premier tour, a été accusé d’avoir trahi son programme en l’élargissant au centre; N. Sarkozy a été voué aux Gémonies pour avoir repris certains thèmes au Front national: je pense donc que le problème n’est pas seulement là.
Scipion8 a écrit :
- De la part de M. Macron, c’est une stratégie délibérée d’antagoniser, de mépriser et de provoquer ces électorats, parce que M. Macron souhaite avoir un monopole sur l’électorat "raisonnable" et qu’il est beaucoup plus confortable pour lui d’avoir Mme Le Pen ou M. Mélenchon comme adversaire au 2nd tour que des opposants moins extrêmes. Dans le même temps, M. Macron achète les ralliements des opposants par des maroquins ministériels, pour affaiblir l’opposition modérée. Le résultat de cette stratégie cynique se voit dans la colère du peuple et dans la violence dans les rues. Et le résultat politique, ce sera un 2nd tour Le Pen / Mélenchon.
Évidemment, les médias n’ont aucun rôle dans ce phénomène de polarisation? Ni la personnalité de M. Wauquiez par exemple (il me semble assez peu attirant pour les avis modérés)? Y a-t-il eu un E. Macron aux États-Unis, en Italie, en Espagne, en Allemagne même à présent pour expliquer semblable polarisation de l’électorat?
Je crains surtout que le charivari médiatique soit néfaste aux politiques de longue haleine; le même phénomène se produira sans doute avec le prochain président.
Scipion8 a écrit :
- Le dysfonctionnement de notre démocratie se constate aussi dans celui de la justice : l’ouverture en 5e vitesse, et avec un timing et une communication remarquables, de procédures judiciaires contre tout opposant s’approchant du pouvoir, au moment des campagnes électorales, avant de les enterrer aussi vite une fois les opposants éliminés ; l’indulgence judiciaire infaillible pour les manquements éthiques du clan au pouvoir, qui permet à untel d’accéder aux plus hautes fonctions malgré des tripatouillages immobiliers ou des omissions fiscales, à une autre d’organiser d’onéreuses sauteries aux frais de Marianne, dans l’espoir d’un maroquin ministériel, à un autre, parangon de vertu, de financer son parti de façon douteuse ; un Garde des Sceaux qui communique via Telegram des informations judiciaires confidentielles à un ami politique… Les décisions judiciaires ne comptent plus (toutes ces affaires finissent enterrées), le secret judiciaire n’est plus respecté ; seul compte le timing, la communication et l’utilisation politique des ouvertures de procédure judiciaire. Cette stratégie, de la part du clan au pouvoir, permet de décrédibiliser les opposants les plus dangereux, mais à terme les Français ne sont pas dupes et toute la classe politique perd sa crédibilité, et surtout toute autorité morale.
En gros, vous considérez que les juges sont aux ordres de M. Macron (ou du "clan ou pouvoir"? Lequel car M. Urvoas était socialiste?). Je pense que la violation du secret judiciaire prévaut maintenant dans tous les cas. Connaissez-vous des magistrats personnellement? Cela vous amènerait peut-être à nuancer votre vision de la magistrature comme une sorte d’organisme dotée d’un seul cerveau auquel tous les membres obéiraient immédiatement.
Scipion8 a écrit :
- Le dysfonctionnement de notre démocratie se voit aussi dans celui des médias : une grande part de journalistes devenus militants politiques, à la solde exclusive du clan au pouvoir - donc représentant une base sociologique extrêmement étroite (en un mot, les bobos). L’élection présidentielle 2017 était à mon sens entièrement "scriptée" (comme on dit d’un jeu vidéo où le joueur perd la main au profit de trop longues séquences scénarisées). Un modèle de fabrique du consentement : les Français voulaient du changement après un quinquennat de chômage massif et d’attentats meurtriers ; ils ont eu droit au poulain et bras droit du président sortant, qui derrière le coup de jeune optique continue la même politique désastreuse, au seul profit de la même base sociologique extrêmement étroite. M. Macron paie aussi aujourd’hui les circonstances artificielles, et plus que douteuses, de son accession au pouvoir.
Je crois que vous vous trompez lourdement sur l’orientation des médias: les résultats des élections "blanches" organisées à chaque élection nationale dans les écoles de journalisme et les instituts de sciences politiques montrent une domination écrasante des candidats et des partis anti-libéraux de gauche et d’extrême gauche.
D’une manière générale je suis abasourdi qu’on soutienne ou qu’on excuse un mouvement violent qui se réclame de la liberté en entravant la liberté de circulation, en obligeant les passants à crier des slogans hostiles à E. Macron, à signer des demandes de démission. Je suis stupéfait qu’on pense sincèrement que ce mouvement puisse aboutir à des prises de décision raisonnables.
Je pense que la situation actuelle résulte pour une bonne part de la stratégie de la tension mise en œuvre consciemment ou non par plusieurs forces politiques et consistant à "pourrir" le gouvernement en le poussant à la faute à force de manifestations, blocages, etc. Il suffit de travailler dans une université pour se rendre compte clairement de la tactique mise en œuvre par certains syndicats étudiants à cet égard (et parfois enseignants). Je concède cependant volontiers que le mouvement des "Gilets jaunes" est d’une tout autre nature; mais il prospère sur un fond de tension généralisée.
Quant à "l’avenir de la France", je pense que nous avions là une dernière chance de sortir du marasme; à présent, cela me paraît compromis, ne serait-ce que par la dégradation spectaculaire de notre image à l’étranger. Une plaisanterie disait que la France était devenue la télé-réalité de la Suisse; en ayant vu une émission spéciale consacrée au "Gilets jaunes" dont la plupart des invités étaient des vieux briscards de l’opposition, et connaissant assez bien le système politique de ce pays voisin, je comprends cette boutade.
J’ai laissé la fin du message de Scipion: mais les petites phrases répétées à l’envi par les journalistes sont un poison pour la politique: elles font passer au dernier plan les problèmes de fond et n’expliquent rien, sont reprises comme une scie et font écran à toute discussion raisonnable.
Dernière modification par Cornelius (06/12/2018 14h38)