Bonjour Etzanas,
Il y a une différence majeure entre ce que fait la BCE/la Banque de France et le financement monétaire d’un Etat (strictement interdit par le Traité sur le Fonctionnement de l’UE, Article 123) :
- Si la BCE/la BDF achetaient des obligations françaises à l’émission, sur le marché primaire, ce serait considéré comme du financement monétaire d’un Etat, donc interdit. En effet, on pourrait légitimement considérer que la BCE/la BDF, par ces achats, troubleraient le mécanisme de formation des prix des obligations nouvellement émises : la banque centrale fixerait le prix, elle serait "price-setter". (Un cas encore plus extrême de financement monétaire consisterait pour un Etat d’imposer le prix des obligations à la banque centrale.) Cela ressemblerait à une "subvention" cachée versée par la banque centrale à l’Etat, ce qui affaiblirait beaucoup la discipline budgétaire.
- C’est pourquoi les achats d’obligations souveraines par la BCE/la BDF (par exemple dans le cadre du QE) ne se font que sur le marché secondaire, à des prix et des conditions de marché. La banque centrale "prend" le prix déterminé par les participants de marchéé (privés), elle est "price-taker". Ainsi, elle ne déforme pas le mécanisme de formation des prix, elle n’affaiblit pas la discipline budgétaire, et elle ne verse pas de "subvention" cachée à l’Etat.
Néanmoins, le marché primaire et le marché secondaire sont évidemment liés. On peut légitimement penser que l’anticipation d’achats par la banque centrale sur le marché secondaire conduit à des taux d’émission plus bas sur le marché primaire. Cette critique du QE est notamment populaire en Allemagne. Mais du point de vue juridique, la Cour de Justice de l’UE a entériné la compatibilité d’achats sur le marché secondaire, à des prix et conditions de marché, avec le Traité.
Aujourd’hui, malgré les troubles politiques, la France n’a pas de mal à émettre ses obligations auprès d’une base très large / variée d’investisseurs privés, à des taux historiquement bas. Elle ne "dépend" pas des achats de la BCE/BDF.
Sur le long-terme, en revanche, on peut être inquiet et craindre que les conditions de financement de la France ne s’éloignent davantage de celles de l’Allemagne, et se rapprochent de celles de l’Italie - si ses problèmes politiques et économiques ne sont pas réglés.
Je vous rejoins sur les puissantes forces structurellement déflationnistes, qui permettent aux banques centrales de s’engager dans de gros QE sans vraiment prendre de risque inflationniste. Cela dit, si la banque centrale devait s’engager dans du financement monétaire de l’Etat (aujourd’hui interdit), la menace inflationniste pourrait revenir très vite : l’inflation n’a été vaincue que parce qu’aujourd’hui les marchés considèrent les banques centrales indépendantes et crédibles.
PS : Sur l’article que vous citez, je pense qu’il faut le prendre avec des pincettes, en raison des biais politiques de son auteur (mais chacun est bien évidemment libre de ses convictions), et aussi des probables biais "business" (pour promouvoir l’or, on agite souvent le spectre de l’inflation et des banques centrales irresponsables).