#2826 17/01/2019 16h16
- Scipion8
- Membre (2017)
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Alpins a écrit :
Bonjour,
Que certaines personnes pensent que cette situation n’est pas saine est une chose, mais, concrètement, est-ce grave? (nb: je ne me fais pas l’avocat du diable, je suis juste complètement largué sur ces questions monétaires).
Cdt
Ce n’est pas forcément grave, mais ça n’est pas forcément sain. Imaginez une personne souffrant d’obésité morbide ; si vous lui offrez un canapé très confortable, vous n’allez pas forcément l’aider. Le QE peut avoir ce genre d’effet sur un Etat lourdement endetté comme la France.
Je m’explique : quand la banque centrale achète massivement, sur une longue période, de la dette souveraine, même sur le marché secondaire (et non à l’émission), elle facilite indirectement les conditions de financement de l’Etat. En effet, il y a :
- un effet prix : les taux des obligations vont baisser,
- un effet volume : l’Etat va + ou - être "assuré" de voir x% de sa dette placée sur les marchés (le pourcentage absorbé par le QE)
Pendant toute la durée du QE, cela est très bénéfique pour les finances de l’Etat (notre charge de la dette, actuellement 42 milliards € / an, serait bien plus lourde sans QE).
Le problème c’est que l’Etat, déjà lourdement endetté, va s’habituer à ces conditions de financement favorables, et ne va plus faire les efforts nécessaires de réduction de la dette publique. On peut légitimement penser que le QE de la BCE (auquel j’étais / je suis favorable en raison des risques de déflation, et auquel j’ai contribué) a contribué à la politique budgétaire irresponsable en France ces dernières années, comme le craignaient mes collègues allemands bcp plus critiques du QE.
Ainsi une mesure de politique publique comme le QE, nécessaire à l’instant "t" (il s’agissait de contrer des risques de déflation), peut avoir des effets néfastes sur longue durée, en incitant indirectement à des comportements irresponsables, notamment par l’Etat. C’est ce qu’on appelle l’aléa moral (moral hazard), ou encore "killing with kindness" (offrir généreusement un sofa confortable à une personne souffrant d’obésité morbide).
Quand on définit une mesure de politique publique, on réfléchit bien sûr aux "incitations" qui en résultent - vertueuses ou dangereuses - et à ce pb d’aléa moral. On essaie de limiter l’aléa moral en définissant des limites strictes et en mettant en place des mesures complémentaires de suivi pour garder un oeil sur le comportement des agents économiques (notamment les Etats).
Une façon de limiter l’aléa moral du QE aurait été de l’accompagner par une application bcp plus stricte des critères de Maastricht sur le déficit public. Tout l’inverse a été fait.
En pratique, il est presque impossible pour des institutions comme la BCE ou la Commission européenne, de contraindre, ou même d’inciter, un Etat comme la France d’avoir des pratiques vertueuses, en raison de son poids politique dans l’UE.
Nos partenaires européens "vertueux", notamment l’Allemagne, voient légitimement dans notre comportement un abus du "bien commun" que constitue l’euro. A terme, c’est la cohésion politique de la zone euro qui pourrait être menacée.
[Au delà de la question du QE et du budget, c’est pour cela qu’à mon sens, nous devons profondément changer nos perceptions et nos attitudes, pour devenir peu à peu, en tous points, plus "responsables" : du point de vue budgétaire, environnemental, générationnel. Nous devrions voir la France, son Etat, son budget, son environnement, son identité, sa culture, comme un bien précieux à conserver pour les prochaines générations. La mentalité collective française en actuellement est très loin et favorise l’irresponsabilité, notamment budgétaire. Je continue de croire que cette révolution mentale reste possible, d’autres pays attachés à leur modèle social (Suède) l’ayant accomplie avec succès.]
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