Le problème, c’est qu’on a oublié que la santé, pour être efficace dans sa prise en charge, doit être considérée comme un investissement à perte, et non pas avec espoir de rentabilité.
Comme si on mangeait pour grossir, et non pas pour ses besoins énergétiques!
Dans ma région, pas très très loin de la résidence secondaire de Strokes, j’assiste depuis dix ans à la déconstruction progressive d’un système qui ne marchait pas trop mal.
Maintenant il marche plus mal, mais il n’est pas plus économique (à mes yeux, mais qui suis-je, petit infirmier libéral, pour pouvoir juger du bon ou mauvais, alors qu’aucune instance décisionnaire ne nous demande jamais ce qu’on pense de ce qu’on voit en vrai sur le terrain réel des choses concrètes?)….et encore moins efficace.
Hormis un lobbying, qui reste à démontrer, je peux comprendre qu’on veuille maintenir un pôle d’activité économique important pour des régions qui n’ont plus grand chose d’autre.
Et au final, quand ces régions deviennent de grandes maisons de retraite, c’est de l’emploi qui a du sens, quoi qu’on en dise.
Or, comme le faisait remarquer Strokes, je suis surpris de l’indigence croissante des prises en charge faute d’une coordination réelle et voulue des moyens utilisés (chacun étant tellement trop occupé à défendre ses miches pour exister plus fort que son voisin).
Ce qui aboutit à des aberration telles que de voir des nonagénaires opérés pour des motifs qui ne le justifieraient pas (mais comme un acte technique enregistré par un établissement entre dans les dépenses utiles au peuple, et justifient un financement pour la dotation de l’année suivante, pourquoi se priverait-on?). J’en ai un comme ça, opéré d’un polype alors qu’en insuffisance cardiaque majeure….son opération lui aura permis d’en mourir guéri 15 jours après….quel gaspillage!
Et des prises en charge en urgence ou bien sûr, sous couvert d’économies, on vous éconduit avec force antalgiques et antiinflammatoires, au lieu de faire un petit scanner ou échographie qui différencierait un diagnostic, et donc combien de patients retournent aux urgences le lendemain ou surlendemain, pour exactement le même problème? Tout cela faute d’engager les moyens en première instance?
Cela coûte donc de l’énergie, du temps pour tout le monde. POur une efficacité faible.
Mais comme l’on aura comptabilisé une activité de tant au niveau statistique, si on ne prend pas en compte dans les calculs qu’en fait, on aura parfois fait le même boulot deux fois pour la même personne et le même résultat, on ne comptabilise pas une seule fois le gaspillage immense d’énergie, lié simplement au fait qu’on impose une vision comptable à des choses qui demandent une vision globale et d’expérience de terrain.
Chez moi, ils sont en train, au nom d’une vision globalisante mais qui n’est que comptable, de déconstruire l’activité d’un pôle hospitalier pour en favoriser un autre. Bah oui, le premier a sa piste pour hélicoptère trop vétuste et ils n’ont pas l’argent pour la refaire. Donc faudra aller dans la préfecture du département, qui lui, a eu la chance d’avoir plein de sous pour refaire ses bâtiments.
Pas grave, l’hôpital pauvre de la sous-préfecture sera transformé en maison gériatrique.
Par contre, quand on a 86 ans, qu’on vit seul, et qu’on est mal un beau soir d’hiver, alors là, faut surtout pas rèver du meilleur : le médecin ne se déplace pas, et le 15 vous amènera aux urgences.
Si vous n’avez pas un infarctus ou un œdème du poumon, un AVC ou autre, et que la route est bonne, alors ça ira.
Par contre, si c’est au quart d’heure prèt, vous regretterez le temps où des urgences à l’hôpital local existaient encore, même si c’était un peu pépère, ou que le médecin de garde était vraiment là parce que le secteur était deux fois plus petit, du temps où l’on ne pensait pas trop en chiffres. Mais où on pouvait faire tout de suite un ECG, et une injection d’adrénaline ou un coup de trinitrine.
Mais je m’égare, on va croire que je préfère des trucs de la bonne vieille France d’autrefois et que je suis rétif au progrès?
Sauf que j’ai du mal à penser qu’un monde pensé par des technocrates (qui ne nous demandent jamais notre avis de gens de terrains, mais nous convoquent chaque année pour nous donner les bonnes directives qu’on ne voit jamais se réaliser faute de moyens et de réelle pertinence par rapport aux besoins du terrain), non intéressés par l’avis des gens de terrains, soit un réel progrès.
Le progrès, c’est quand les idées fonctionnent. Or là, elles ne fonctionnent pas!
Mais ne vous inquiétez pas, bonnes gens, les infirmiers libéraux sont déjà à contribution pour jouer au docteur…ça coute moins cher, ce qui n’empèche pas la sécu de nous fliquer tout le temps alors qu’on les a soulagé depuis un an du contrôle des papiers en s’en chargeant nous-mêmes (bon, on nous a pas vraiment demandé si ça nous arrangeait, mais on trouve normal qu’on fasse plein de trucs de gestion en plus des soins sans se demander si ça nous laisse du temps pour les gens), alors que les médecins tiquent de plus en plus pour rédiger les ordonnances (probablement une petite épée de Damoclès à base de flicage statistique de la sécu qui les inhibe un peu), mais que si on ne les a pas, et bien on ne peut pas se faire payer, donc……
et je ne parle pas des SSIAD, qui en fin de compte captent pas mal de fonds de l’état, mais les redistribuent-ils? Avec ma collègue nous avons un contentieux depuis plus d’un an avec un SSIAD qui nous a décôté des soins (qu’on doit facturer à leurs services pour qu’ils nous règlent avec l’argent qu’ils perçoivent de la sécu). Etrangement, depuis deux ans, ils ont de moins en moins de patients, pourtant ils doivent toucher des sous….où cela passe-t-il?
Donc les problèmes sont à voir non seulement dans la gestion des dépenses, mais surtout l’esprit de qui a les moyens en main : sont-ils pensés pour l’intérêt de la communauté? Ou y a-t-il par trop de conflits d’intérêts de la part de trop d’acteurs intermédiaires qui se paient sur la bête alors qu’en fait, ils n’ont pas de réelle utilité sur le terrain?
Tout ça pour dire qu’avec un peu moins de bureaucrates penseurs du réel, mais un peu plus de moyens à la base, les choses tourneraient bien mieux pour beaucoup moins cher.