Perso je vois dans le mouvement des Gilets Jaunes avant tout l’expression d’une crise politique, même s’il y a aussi un problème économique :
1) Le problème économique, c’est à mon sens bien sûr la pression fiscale, énorme en France. Elle n’a cessé d’augmenter, particulièrement sous Hollande. Depuis Sarkozy, aucun effort n’a été fait pour réduire les dépenses publiques. La décentralisation s’est soldée par une sphère publique encore plus obèse. Les Français écrasés d’impôts voient leurs dirigeants politiques vivre confortablement : à l’échelle des dépenses publiques totales, ce sont des dépenses symboliques - mais insupportables. On voit des dépenses somptuaires pour le decorum de l’Etat, pour des choses franchement pas nécessaires de la part d’un Etat qui se mêle de tout et n’importe quoi. Le mouvement des Gilets Jaunes aura au moins pour grand bénéfice de révéler de la façon la plus nette le ras-le-bol fiscal des Français, ce qui devrait rendre tout gouvernement futur plus prudent dans le gaspillage de l’argent public. L’Etat doit se recentrer sur l’essentiel. Il y a quand même une grande incohérence dans l’attitude de beaucoup de Français, qui se plaignent à raison d’une charge fiscale excessive, inégalée dans le monde, mais dans le même temps votent, élection après élection, pour des socialistes ou assimilés, dont la dépense publique est l’alpha et l’omega.
2) La crise politique, c’est le résultat d’un défaut de représentation d’un part croissante de Français dans la sphère politique :
- Dans une démocratie qui fonctionne bien, le pouvoir tient compte des résultats, des préoccupations exprimées par le vote. A quel niveau dans les votes faudra-t-il voir l’extrême-droite avant que la demande d’une maîtrise de l’immigration soit prise en compte ? En France, on a pris l’habitude de traiter 20% du corps électoral comme des pestiférés, dont on décide a priori que leur opinion ne compte pas. On peut désormais élargir ce raisonnement à la gauche façon Mélenchon - qu’on peut critiquer mais dont les électeurs expriment un désir légitime de justice sociale. C’est 40-45% de l’électorat (davantage si on compte beaucoup d’abstentionnistes dégoûtés du fonctionnement de notre démocratie) qui est royalement méprisé par l’élite au pouvoir, en toute bonne conscience. Ce sont aussi les moins favorisés économiquement, les perdants de la mondialisation. Et ils ne devraient pas être en colère ?
- De la part de M. Macron, c’est une stratégie délibérée d’antagoniser, de mépriser et de provoquer ces électorats, parce que M. Macron souhaite avoir un monopole sur l’électorat "raisonnable" et qu’il est beaucoup plus confortable pour lui d’avoir Mme Le Pen ou M. Mélenchon comme adversaire au 2nd tour que des opposants moins extrêmes. Dans le même temps, M. Macron achète les ralliements des opposants par des maroquins ministériels, pour affaiblir l’opposition modérée. Le résultat de cette stratégie cynique se voit dans la colère du peuple et dans la violence dans les rues. Et le résultat politique, ce sera un 2nd tour Le Pen / Mélenchon.
- Le dysfonctionnement de notre démocratie se constate aussi dans celui de la justice : l’ouverture en 5e vitesse, et avec un timing et une communication remarquables, de procédures judiciaires contre tout opposant s’approchant du pouvoir, au moment des campagnes électorales, avant de les enterrer aussi vite une fois les opposants éliminés ; l’indulgence judiciaire infaillible pour les manquements éthiques du clan au pouvoir, qui permet à untel d’accéder aux plus hautes fonctions malgré des tripatouillages immobiliers ou des omissions fiscales, à une autre d’organiser d’onéreuses sauteries aux frais de Marianne, dans l’espoir d’un maroquin ministériel, à un autre, parangon de vertu, de financer son parti de façon douteuse ; un Garde des Sceaux qui communique via Telegram des informations judiciaires confidentielles à un ami politique… Les décisions judiciaires ne comptent plus (toutes ces affaires finissent enterrées), le secret judiciaire n’est plus respecté ; seul compte le timing, la communication et l’utilisation politique des ouvertures de procédure judiciaire. Cette stratégie, de la part du clan au pouvoir, permet de décrédibiliser les opposants les plus dangereux, mais à terme les Français ne sont pas dupes et toute la classe politique perd sa crédibilité, et surtout toute autorité morale.
- Le dysfonctionnement de notre démocratie se voit aussi dans celui des médias : une grande part de journalistes devenus militants politiques, à la solde exclusive du clan au pouvoir - donc représentant une base sociologique extrêmement étroite (en un mot, les bobos). L’élection présidentielle 2017 était à mon sens entièrement "scriptée" (comme on dit d’un jeu vidéo où le joueur perd la main au profit de trop longues séquences scénarisées). Un modèle de fabrique du consentement : les Français voulaient du changement après un quinquennat de chômage massif et d’attentats meurtriers ; ils ont eu droit au poulain et bras droit du président sortant, qui derrière le coup de jeune optique continue la même politique désastreuse, au seul profit de la même base sociologique extrêmement étroite. M. Macron paie aussi aujourd’hui les circonstances artificielles, et plus que douteuses, de son accession au pouvoir.
- A tout cela, M. Macron a ajouté sa touche personnelle d’arrogance et de mépris de classe. Dans sa communication, M. Macron mêle "en même temps" la bonne conscience, la supériorité morale, du socialiste, et l’arrogance naturelle du bourgeois, qui invite le chômeur à traverser la rue. Le mélange des 2 est désastreux et antagonise une large part de la société, qui à raison ne se sent pas représentée. Comme si cela ne suffisait pas, M. Macron nous inflige régulièrement, de façon absolument superflue, l’expression de son ego surdimensionné : quelle mouche le pique pour parler de "Jupiter", de "verticalité", de "corps du roi", face à un peuple notoirement (et glorieusement) rebelle, révolutionnaire et libre ? Je crains que M. Macron, fondamentalement, ne comprenne pas ce qu’est la France : il s’est arrêté à Jeanne d’Arc et à Louis XIV sans comprendre que la Révolution et l’exécution du Roi ont été aussi des actes fondateurs pour la Nation française (et non de regrettables accidents de l’Histoire comme il semble le penser). Il ferait bien de réviser son Histoire de France avant que le peuple ne lui donne un cours de rappel.
Au-delà du nombre de manifestants, le soutien exprimé par l’opinion pour les Gilets Jaunes démontre un mécontentement très fort de la société contre les dysfonctionnements de notre démocratie, dont M. Macron est devenu l’expression détestable. Le défaut de représentation politique affecte immanquablement le consentement à l’impôt. Perso, je considère que le pouvoir actuel s’est entièrement décrédibilisé, et que, pour ne pas perdre 3,5 ans de plus après un quinquennat Hollande désastreux, le mieux serait de passer la main et de confier au peuple le choix de nouveaux représentants.
Désolé pour le post très politique, mais limiter le débat à l’ISF (dont il est maintenant probable à mon sens qu’il soit rétabli après les prochaines élections) est à mon sens réducteur.