doubletrouble, le 08/12/2022 a écrit :
bientôt les chinois avec deux voitures par famille regarderont comme une curiosité les français se rendre au travail en pelotons serrés 
Il y a de l’ordre de 200 voitures pour 1000 habitants en Chine et 50 en Inde contre 500 en France, ce qui laisse de la marge d’ici à ce que les Asiatiques motorisés se rient des Européens cyclistes…
Certains craignent pour leurs libertés individuelles, mais leur conception de la liberté se restreint aux quelques choix qu’ils ont pu faire en tant qu’individus dans un certain cadre, et oublie les aspirations d’autres individus à vivre dans un cadre différent.
Que font-ils de la liberté à vivre sans le bruit ni la pollution des voitures ? de la liberté à ne pas financer par l’impôt des routes dont on ne se sert pas ? de la liberté à déambuler en sécurité sans avoir à craindre des engins de 2 tonnes ? de la liberté à avoir les services du quotidien et un emploi à portée de marche/vélo dans un monde où tout n’aurait pas été concentré en fonction de la capacité à y accéder en voiture ?
Il est ici question de choix politiques, actés par la majorité, auxquels une minorité n’a d’autre choix que de se plier ; faisant partie de cette minorité, j’espère qu’on me pardonnera de souhaiter que cette minorité devienne progressivement majoritaire.
On s’inquiète de ce que "beaucoup de gens ne pourront bientôt plus utiliser de voitures car il n’en ont plus les moyens." Eh bien ma grand-mère et presque toutes les femmes de sa génération dans le rural ne peuvent pas utiliser de voiture car elles n’ont pas le permis, : cela n’a jamais inquiété personne et ne les dérange pas elles-mêmes.
Jusqu’en 1960 personne n’avait de voiture hormis les CSP+, et là non plus cela ne dérangeait personne.
En 1995 j’allais à pied à l’école comme tous les gosses du coin : aujourd’hui ils se font conduire en voiture, ils ne me semblent pas plus épanouis pour autant.
On s’inquiète aussi de ceux qui travaillent à 45 km de leur domicile : mais est-ce vraiment souhaitable et nécessaire que des emplois se situent à 45 km du domicile de leur occupant ? Il y a un bourg près de chez moi qui compte encore 2 usines, davantage d’emplois que de résidents actifs. Seuls 2 habitants du bourg y travaillent : la plupart vont travailler dans la grande ville à 45 km de là, pendant que la plupart des emplois du bourg sont occupés par des résidents de cette même grande ville…
Personnellement je n’ai pas les "moyens" d’avoir une voiture car c’est trop cher pour ce que c’est, je ne veux pas me condamner à travailler toute ma vie pour cela (je préfère dépendre de ma capacité à jardiner oisivement).
Dans mon village il y a le train à 2km et une piste cyclable, et en-dehors de quelques octogénaires nous ne sommes que 2 ménages sans voiture.
Je me sens plus libre ainsi : moins de frais, et pas besoin de trimbaler un tas de ferraille de 2 tonnes dès que je veux aller quelque part, beaucoup moins de tentations de consommer (car il faut transporter à dos d’homme ou commander).
J’admets avoir une définition particulière de la liberté, mais trouve une conception étonnante de la nécessité chez ceux qui affirment que la voiture soit absolument nécessaire par manque de transport, par fatigue après le travail ou que sais-je. Ma grand-mère avait un travail autrement plus physique que 99 % des travailleurs d’aujourd’hui et pas de train à proximité. Moi-même si on m’enlevait le train, cela ne changerait pas tout : quelques voyages rapides en moins (remplacés par de longues expéditions vélo), fréquentation d’amis géographiquement plus proches. La position des territoires ruraux ne serait pas si catastrophique non plus : en l’absence de voitures, les épiceries et services de proximité fleuriraient à nouveau. Dans la France sans voiture, les dirigeants étaient majoritairement issus du rural, alors qu’aujourd’hui ils sont citadins bureaucrates.
J’ai peu d’espoir que cela se produise, mais une société presque sans voiture me semble non seulement vivable, mais désirable.
Dans la thèse d’Aurélien Bigo "Les transports face au défi de la transition énergétique", on lit que la vitesse effective moyenne sur route est de l’ordre de 46 km/h. Les individus consacrent en moyenne environ une heure aux déplacements, + 20mn de promenade.
Thèse - Les transports face au défi de la transition énergétique - Chaire Energie et Prospérité
Le vélomobile (60 x moins de matériaux qu’une voiture) permettrait de rouler à 30 km/h de moyenne à la seule force des jambes sans aucune aptitude sportive, 70km/h pour un sportif amateur, le record sur le plat étant de 140km/h
Le vélomobile, qu’est-ce que c’est ?
Je n’ai pas encore essayé un tel engin, mais le vélo à 35km/h ne me sert déjà qu’occasionnellement, la course à 12 km/h me suffisant la plupart du temps. En 1h ou 1h20 de temps (la chose pouvant par nature intégrer le temps de promenade), le vélomobile permettrait à tout un chacun de faire 30 à 40km/jour sans effort significatif ni CO2, ce qui ne serait pas très différent de 46. Les modes carbonés (ou électriques) pourraient être réservés au transport de gros de marchandises.
Les choix en matière de transport sont liés à la politique énergie/carbone choisie, et plusieurs scénarios sont possibles :
1. Ne rien changer :
on fait la course aux énergies quelles qu’elles soient ; le pétrole s’épuise, puis le gaz, puis le charbon ; la croissance est sauve pour quelques années, mais en sortie il faut de toute façon trouver d’autres énergies, et le changement climatique provoque migrations, famines, guerres, division de la population mondiale par 3 à 10 de façon brutale et non organisée.
2. ne changer que les sources d’énergie progressivement sans changer la quantité totale consommée, ce qui ne peut être que très, très long (temps pour construire les centrales nucléaires, éoliennes etc). Les conséquences seraient à peu près les mêmes qu’en scénario 1, avec un chaos à peine moins brutal. La voiture électrique est adaptée à ce scénario : elle peut fonctionner aussi bien au charbon qu’à l’éolien…
3. Consommer l’énergie avec frugalité, en attendant que les les nouvelles énergies soient prêtes (sans avoir absolument besoin qu’elles le soient, puisqu’on serait habitué à la frugalité) : on renoncerait à certaines choses (voitures individuelles, vacances en avion, viande rouge, animaux de compagnie carnivores, vidéo en streaming, chauffage de plus d’une petite pièce par personne, bobologie surconsomatrice de médicaments…) d’où une décroissance fatale à court terme, mais l’essentiel serait conservé ainsi que l’espoir de retrouver de la prospérité à long terme en évitant le chaos (ou du moins en passant par un chaos beaucoup moins désordonné)
Ce scénario nécessite une entente internationale, avec 2 nuances :
- si le modèle est expérimenté quelque part et que le mondes s’aperçoit que les habitants de ce quelque part n’en sont pas moins heureux, il aura davantage de chances d’être généralisé.
- si l’Europe et les USA s’entendaient, dans le rapport de force actuel ils auraient les moyens de contraindre le reste du monde, par des règles commerciales, ou la menace militaire si besoin.
Ayant la certitude que mon pays serait en bien mauvaise posture dans les scénarios 1 et 2 (pas d’énergies fossiles sur son sol, 0 chance de l’emporter dans une guerre du chacun pour soi), je préférerais qu’il soit précurseur du scénario 3, même avec une probabilité infime que cela suffise à convaincre les autres, car je préfère une probabilité de réussite infime à une probabilité nulle.
Evidemment, ma préférence n’est pas désintéressée, puisqu’en cas de frugalité organisée nationalement, je n’aurais rien à changer à mon mode de vie actuel, et ne serait plus dérangé par les vrombissements quand je suis sur la terrasse. Mon mode de vie se fiche d’ailleurs assez éperdument d’éventuelles coupures d’électricité, sachant vivre quelques mois sur un stock d’aliments ne nécessitant pas de cuisson, et considérant tout le non-alimentaire comme facultatif. Mes grands-parents ont connu la vie sans électricité à domicile : faire la même expérience serait juste amusant, alors que faire celle d’une guerre ne me plairait pas.
La réalisation d’un tel projet de frugalité aurait besoin de normes décidées collectivement. La voiture individuelle, par exemple, devrait être interdite à tous sans distinction de revenu (autorisée seulement aux paralysés incapables de pédaler). S’en tenir à la "responsabilité individuelle" est un non-sens si la question CO2 est importante : on ne compte pas non plus sur la bonne volonté pour éviter les meurtres ou les vols, on met des règles contraignantes. Un monde frugal ne serait pas obligatoirement communiste : les riches pourraient toujours avoir des domestiques, des terres (sans bovins), des bâtiments bien isolés, mais certainement pas des jets et des piscines.
Ceci dit, je n’ai jusqu’ici pas convaincu grand monde et base mes décisions d’investissement sur le scénario 2 (électrification lente) que je juge le plus probable. Bien qu’ayant un résultat final peu différent du scénario 1, il permet de cajoler les consciences, nourrir un storytelling "vert" tout en allant dans le mur à peu près aussi vite que le scénario 1 décomplexé. Je ne pense pas que la majorité soit irrationnelle : elle est court-termiste, vorace et prédatrice (moi qui n’ai pas d’enfant suis long-termiste, il doit y avoir un bug)
Dans un monde frugal, l’investissement ne rapporterait rien ou presque, la cotation continue serait supprimée, et il faudrait probablement que je travaille. Actuellement je ne travaille plus, profitant ainsi à court terme de la trajectoire que j’estime mauvaise, histoire de ne pas être perdant dans tous les domaines alors que je suis perdant politiquement (comme quoi je suis aussi prédateur à ma manière, me voilà rassuré quant à ma nature humaine)