GBL, vous soulevez des points intéressants et je vous en remercie. Je vais vous soumettre quelques réflexions en plus (car j’ai fait une analyse basée sur le dernier rapport annuel). Il y a clairement des imprécisions dans ce que je dis, mais j’essaie de m’appuyer sur ce que Free veut bien nous donner en utilisant un peu de bon sens (qui n’est peut être pas très bon :-)).
GoodbyLenine a écrit :
Ce n’est pas "tout à fait" comparable, entre un opérateur mobile et câble […]
Je suis entièrement d’accord sur l’ensemble de vos points. L’idée était avant tout de mettre en avant le fait que la confrontation dans le telco sera très violente contrairement à celle dans le secteur câblé qui n’accueille plus de nouveaux acteurs depuis plusieurs décennies en fait. Vous avez tout à fait raison de dire que le secteur telco est potentiellement plus fragile et que mettre un réseau y est plus simple.
GoodbyLenine a écrit :
Je ne crois pas que l’idée de Free soit de relever significativement ses tarifs à terme, mais plutôt d’avoir un business profitable avec ce niveau de tarif (et la base de coût qui permet d’être profitable). Free n’a pas nécessairement besoin de faire grossir le gâteau (le bénéfice de l’ensemble du marché)… Je suis d’accord avec le fait qu’aucun des opérateurs mobile en place n’a gagné (seuls les clients finaux, et free si son offre mobile devient profitable, auront gagné).
Free devait prendre une part de marché assez importante, et assez vite (pour de multiples raisons : financières, réglementaire, marketing, etc.), pour avoir une chance raisonnable que son offre mobile devienne profitable. A votre avis, quelles alternatives à celle qu’ils ont choisi avait le plus de chance de réussir ? Avez-vous analysé les résultats financiers de free mobile, et comparé avec celle de ses concurrents (en particulier BT) quand leur réseau avait 2, ou même 5 ans ?
Vous avez là aussi raison sur le fait que Free va prendre une part de marché importante (15% à terme me semble tout à fait réaliste). Ils ont déjà plus de 5M d’abonnés en un temps record.
Pour ce qui est de la manière d’entrer, j’envisage principalement deux possibilités (sans savoir de manière ferme si c’est plus pertinent que ce qu’ils ont choisi) :
1) une offre mobile entièrement assumée par un ou plusieurs partenaires (selon les zones où chacun domine pour ne vexer personne ?) avec un prix relativement en ligne avec la concurrence bien qu’inférieur (mettons 20%) aurait peut être provoqué une hémorragie moins violente, voire inexistante (selon la réaction des concurrents). Eviter une confrontation frontale aurait pu bénéficier à tous (Free faisant tout de suite de la marge, les autres gardant leurs marges sans guerre des prix)… A condition de pouvoir faire passer la chose auprès des autorités règlementaires.
2) Ne pas entrer sur un marché à barrières peut aussi être, bien souvent, une stratégie pertinente (sans doute celle que j’aurais choisi si mes calculs ci-dessous sont à peu près justes). Cela peut paraître bête dit comme cela, mais si Kodak s’était occupé de son marché et avait défendu ses avantages compétitifs au lieu de vouloir "dominer le monde" et déployer son capital sur le marché de la photo instantanée pour prendre quelques parts à Polaroid, ils seraient peut être encore en vie aujourd’hui. Une seule certitude en tout cas : en allant combattre sur un terrain où ils n’avaient, dès le départ, pas la moindre chance (ni avantage technologique, ni effet d’échelle, un peu comme Free de ce côté là ?), ils ont jeté de l’argent par les fenêtres pendant près de 15 ans et n’ont jamais vu le moindre profit. En parallèle, ils ont perdu leur avance là où ils dominaient (puisque l’attention du management était ailleurs) et ont fini comme on le sait.
Pour ce qui est de l’étude du segment mobile chez Free, la seule chose que je peux dire aujourd’hui est que l’EBITDA est négatif avec environ 8% des parts de marché, soit 5M abonnés. (-46 M).
J’ai évidemment ici un gros problème ici avec l’EBITDA comme approximation du profit car Free, comme tout opérateur telco, doit énormément investir dans son réseau. Il n’y a malheureusement pas de breakdown au niveau du capex dans le rapport annuel, mais, en me basant sur le passé, j’en déduis qu’on est à 500 millions environ en 2012. Ce capex est, à mon avis, amené à augmenter dans le temps car, lorsque Free aura son propre réseau, ils auront une maintenance à assurer dessus, on ira voir celui d’Orange pour l’estimer.
Aujourd’hui, vu l’accord avec Orange, ils prennent leur temps pour investir, mais il y a bien un moment où ils vont devoir investir plein pot. Les pertes réelles cash de l’activité se chiffrent donc plutôt à 500 millions par an pour le moment (avec le capex total actuel), ce qui semble confirmé par le fait que le FCF ADSL est bouffé par les investissements dans le mobile (Free est à peu près flat au niveau du FCF).
Le plus dur, c’est maintenant de connaître le retour sur investissement potentiel, et il est loin d’être immédiat que ce qui est aujourd’hui investi rapportera autant que l’ADSL (ce qui voudra dire que détourner le FCF de l’ADSL pour le mettre dans le mobile détériorerait le profil de la société… Et même possiblement qu’un bête rachat d’actions aurait été possiblement plus accrétif que ces investissements).
Post investissement, mes projections relativement optimistes me donnent 1,2 milliard d’EBITDA par an en supposant que la structure de coûts n’augmente pas significativement au cours du temps (hypothèse forte car il faut faire croître le réseau) et que l’on atteint 10 millions d’abonnés mobiles supplémentaires avec un ARPU de 10€, soit 15 millions d’abonnés au total. Le calcul est simpliste : à structure de coût constante, je projette que le revenu de 10 millions d’abonnés vient directement s’ajouter à notre EBITDA actuel de -42 M€. A quelques millions près, j’arrive donc à 1 B d’EBITDA, et je prends une marge de sécurité par rapport à la structure de coûts en amputant 150 millions.
Maintenant, voilà ce que je me dis : 1 B d’EBITDA pour un investissement probable de plus d’ 1,5 milliards (3 ans au rythme actuel), ou peut-être même un multiple de cela. S’ils ne montent pas les prix, je suis vraiment inquiet en termes de retour sur capital car il faut aussi retrancher le capex de maintenance de l’EBITDA pour avoir le bénéfice cash pour l’actionnaire… Or le capex d’Orange en France est de 2,7 B, soit plus du double de l’EBITDA que Free peut espérer sous mon scénario. En supposant que Free investisse seulement 1,5 milliards en capex de maintenance total, soit 1 milliard de plus qu’aujourd’hui, on aurait un FCF pré-taxes pré-intérêts nul.
Et il est alors fort possible que Free mobile ne sera alors jamais profitable avec un ARPU de 10€.
C’est pour cela que je pense que Free a quelque chose d’autre en tête que le volume, car Niel a l’air d’avoir un certain pragmatisme (historiquement en tout cas, vous remarquerez que l’ADSL Free n’est pas significativement moins cher que celui des concurrents, car je présume que tout le monde est d’accord pour faire ses marges parce qu’ils comprennent tous le problème de la guerre des prix).
A ma connaissance, d’après plusieurs conversations avec des contacts de l’industrie (je n’ai pas un âge suffisant pour avoir une opinion informée), BT n’a justifié les investissements qui ont été consentis dans l’activité que quelques années après avoir inventé le concept de forfait et jusqu’au milieu des années 2000. Cela étant dit, je pense sincèrement que ce que Free Mobile peut espérer ne doit pas être comparé à ce que BT pouvait attendre à l’époque. En effet, à l’époque, Bouygues avait un pricing power qui lui permettait d’avoir une génération de cash intéressante avec un réseau minimal, donc un investissement assez faible en proportion de se qui se fait aujourd’hui pour les opérateurs, et ce dernier pouvait être dimensionné au fur et à mesure de la croissance du nombre d’abonnés par zone géographique (et, vu le pricing power, ça valait le coup de faire cette croissance). De plus, ils n’avaient qu’un type de réseau à supporter, le GSM. Aujourd’hui, les majors supportent GSM, EDGE, UMTS, et la 4G… Sans même parler du Core Network et de ses upgrades réguliers (par ex R4 post 2007 pour intégrer le protocole IP, et sans doute d’autres à venir). Il y avait alors assez peu d’abonnés comparativement à aujourd’hui. Plus tard, il s’est avéré que Bouygues a sous-investi dans son réseau et a connu quelques problèmes de qualité. Ils ont perdu plein d’abonnés en leurs parts de marché en 2007 étaient déjà faibles par rapport aux autres. Bouygues a d’ailleurs souvent cherché à refourguer BT à quelqu’un d’autre depuis (pour ne pas faire eux-mêmes de gros investissements dans R4 et la 3G/3G+ je présume), sans succès.
Je ne sais pas si c’est ce qui attend Free, mais je peux supposer de manière raisonnable que l’excursion de Free dans le mobile ne sera pas une partie de plaisir comme les premières excursions des opérateurs SFR et BT… Le problème principal à mon avis étant qu’il n’y a plus de pricing power comme dans le temps (et vous conviendrez sans doute que cela rend les choses plus compliquées).
Voilà ce que je peux dire de plus comme arguments avec une tentative de chiffrage en cours de route. Bien sûr, comme dans tout "early stage investment", il peut y avoir de grosses surprises et des déviations élevées par rapport à ce qui est projeté. Statistiquement, ces déviations ont tendance à être vers le bas, mais il existe aussi des bonnes surprises.
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@ MarsAres : les opérateurs SFR et Bouygues ont réagi très rationnellement en s’entendant pour mutualiser leur réseau. La guerre est loin d’être finie à mon humble avis. Si toutefois vous aviez raison, alors Orange et Free seraient en oligopole et pourraient tout deux remonter leurs prix, ce qui solutionnerait alors leurs problèmes de profitabilité.
Dernière modification par sergio8000 (27/07/2013 20h14)