Bon, bah c’est passionnel, par ici!
J’entends les arguments et divergences de chacun ici, mais parfois certaines choses me paraissent un peu éxagérées, notamment les arguments catastrophistes pour justifier le confinement. Je pense qu’en fait, beaucoup sont confus par défaut de compréhension globale, et vu que nous sommes submergés d’infos et qu’on a en plus le loisir de penser, bah ça bout dans la cocotte minute!
Moi je vois que ce soir, ma compagne, qui je le rappelle, est animatrice en arts plastiques dans un hôpital public en zone rurale et petite ville, et se déplaçant sur pas moins de quatre sites cinq jours par semaine, revient ce soir en me disant qu’il y a deux personnes contaminées qui étaient là sur le site où elle est allée aujourd’hui (réquisitionnée vendredi pour faire un atelier couture de masques).
Déjà, il y a plus d’une semaine, elle était revenue d’un autre site en me disant qu’un des patients était hospitalisé, et peut-être contaminé. Par chance, elle a appris vendredi que ce n’était pas le cas. Ce qui m’arrange, car je bosse avec des myopathes, donc très vulnérables, et j’aurais pu être porteur à mon insu (surtout au vu des masques merdiques qu’on a qui se trouent en moins d’une heure-mais on en a!).
Pour revenir au cas d’aujourd’hui, en fait un service dédié à des hospitalisations de pathologies chroniques mais non urgentes, a été fermé pour recueillir des patients du SSR (soins de suite et réadaptation-en général ici une population plus toute jeune), de la préfecture (à 35 Kms d’ici), afin de laisser place aux contaminés du coronavirus dans l’hôpital de la préfecture. Donc samedi, deux personnes sont arrivées depuis l’hôpital de la préfecture, et elles se sont mises à "chauffer" dimanche, et il s’avère qu’elles sont positives au coronavirus. Or hier un article indiquait qu’une dame de 80 ans était décédée du coronavirus dans l’hôpital de la préfecture d’où venaient ces deux personnes.
Donc je résume: ma compagne fait un travail "non essentiel" à la continuation des soins (animatrice culturelle)…mais on veut la laisser bosser sur plusieurs sites. Et elle se retrouve exposée potentiellement (parce qu’on ne lui propose aucune protection), m’exposant potentiellement alors que je bosse moi-même avec des populations à risque.
Et comme elle m’a dit, elle a surtout le sentiment qu’on veut qu’elle vienne bosser, parce que ça fait chier la direction qu’elle puisse être payée à rien faire (pour vous dire, un DRH de cet établissement fait signer des démissions à des personnes ayant achevé un CDD, qui perdent donc droit au chômage, pour vous donner une idée du mode de gestion du personnel)…plusieurs autres personnes étant dans son cas aussi.
Quand le premier cas, celui du jeune hospitalisé s’est présenté, son cadre a dû décider de trouver une solution tout seul, sans avoir reçu une seule réponse de la direction. Sachant que son cadre n’est pas soignant du tout. Ma compagne, non seulement fréquente quatre sites différents, mais plusieurs étages dans chaque. Elle va chercher les personnes elle-même, puisque la plupart ne sont pas autonomes…donc les risques de contamination me semblent optimaux pour elle!
La seule proposition qu’on lui faisait était de poser un congé! Alors que la situation n’était pas de son fait, ni de sa responsabilité dans le fait que dans le doute on lui a demandé de ne plus aller sur ce site (celui du jeune suspect)…donc on l’a mise sur un autre site.
Mais si ce n’était elle à demander ce qu’il fallait faire, à se renseigner elle-même, à demander que faire, à un cadre qui était foncièrement seul, et bien…rien!
Dans la seconde situation qu’elle m’a rapporté aujourd’hui, donc on a transféré des patients, sachant que d’où ils venaient il y avait au moins un cas avéré de coronavirus, malheureusement décédé depuis, et bien sûr pas de test…donc le beau cheval de Troie, quoi!
Mais elle continue d’aller au taf, et personne ne lui dit que ce serait plus prudent d’arrèter…
Ceci corrobore les témoignages que j’ai lu de directeurs d’ehpad, laissés totalement dans le rien, à devoir décider en contactant des ARS qui les renvoient aux sites du gouvernement…autrement dit si t’as besoin de rien t’as du monde!
A mon boulot, c’est pareil, quand je lis les mails transmis par le directeur, c’est juste des collections de liens que le ministère ou les ARS lui envoient. Perso je suis capable d’aller chercher ce contenu tout seul comme un grand, mais c’est mieux de payer des gens qui coutent cher pour faire du mailing….une opératrice de télétravail ferait ça pour moins cher, mais bien sûr ça n’aurait pas de valeur juridique pour le contrôle qualité!
Bref voilà le monde où on est.
Donc je vois qu’en fait, l’hôpital n’est pas capable de son propre confinement, mais cela est dû à la succession de déconstruction de moyens locaux, à force de voir ce qu’il se passait à l’échelon d’un seul bâtiment, transféré à l’échelle d’un département ou au moins d’un arrondissement.
Là où il y a trente ans on aurait fermé un étage pour récupérer ceux de l’étage en-dessous, ben maintenant on les envoie dans la succursale de campagne à trente bornes…et on contamine la campagne (comme les parisiens quand ils ont fui sur la côte Atlantique!). Voilà donc en fait où sont les risques. Avec en toile de fond, pour moi clairement, sans ambiguité, et aussi sans source (parce que c’est difficile à sourcer quelque chose qui ne se dit pas, s’écrit encore moins, et ne veut pas être assumé clairement), la politique à l’économie, l’obsession de l’économie. Celle qui fait que, comme je lisais d’une infirmière, un cadre laisse bosser une équipe en sous-nombre car il touche des primes liées à ce fait.
Donc, pour moi il y a une grande incompétence dans la gestion hospitalière (c’est difficile quand c’est des gestionnaires qui n’ont pas l’expérience de terrain, de se projeter dans ce qu’est le réel vécu des soignants, et comme disait quelqu’un à juste titre plus haut, en médecine 1+1 n’égale pas toujours deux.
Et quand je vois : les risques qu’on n’a pas peur de faire prendre à ma compagne (qui ne parlera même pas de droit de retrait car je crois qu’elle a la profonde intelligence et la diplomatie de deviner la réponse qu’on lui opposera), le manque de vision d’ensemble, de cohérence du système, la confusion et la distance abyssale de la hiérarchie (que les cadres qui m’avaient évalué en décembre m’avaient nommé comme grand facteur de souffrance dans leur travail au quotidien), ceci au sein-même du système censé soigner l’ensemble de la population française, je ne serais juste pas étonné que ce qu’il se passe vis à vis du Dr Raoult, quelles que soient les discussions possibles sur le plan purement scientifique, soit influencé par ce genre de gestion, influencé par des doctrines plus que de la connaissance de terrain, voire de la politique et des petites histoires de pouvoir et de petit territoire personnel.
Bien sûr ce point de vue est totalement subjectif de ma part, peut-être potentiellement aveuglé par de la passion (au sens philosophique), mais je le partage, car rien de ce que j’aie pu voir personnellement récemment de l’hôpital public ne m’a permis de penser le contraire (et c’est ce qui m’en a fait fuir en courant).
Ce que je constate, c’est que sur le lieu de travail où je suis, donc associatif privé, avec des conditions salariales décentes, il y a des soignants qui sont là depuis plus de 15 ans, voire 20…nous soignons des handicapés dont certains super fragiles respiratoirement (et que tout ceci fait flipper à mort!)…mais comme l’équipe est là depuis longtemps, qu’elle ne change pas tous les quatre matins, qu’il y a une structure d’organisation légère et surtout, au grand surtout, fonctionnelle, adaptable, réactive, avec des chefs dispos de suite et sur place, et des cadres médicaux et paramédicaux, et des médecins pouvant être présents sur place ou très rapidement, et bien les mesures d’hygiène et de protection ont été prises sans doute, sans problème, car elles sont dans la culture soignante de ce milieu, qui avait déjà des protocoles prèts à utiliser. Bref, un truc un peu plus fouillé que ce que l’ARS transmet, ou d’autres.
Elle est là, l’anticipation. Par contre, conformément aux directives de 2011, il n’y a pas eu de masques d’avance. Par chance, mes collègues et d’autres ont gardé des masques PPR2 périmés de 2011, et des masques tout nase qui se trouent au bout d’une heure, mais on a quelque chose plutôt que rien, mais parce que le matériel périmé n’a pas été jeté.
Et les masques PPR2 ne servent pas, ils sont gardés au cas où un cas soit présent dans l’établissement. Sinon on ne s’en sert pas.
En tous cas, ce que j’observe corrobore ce que je ressens de façon croissante depuis des années: la société civile est capable de se démerder seule, sans les ronds de cuir, de plus en plus nombreux, qui viennent regarder par dessus l’épaule le boulot qu’on a fait sans eux et sans directives, pour mieux se l’approprier et dire qu’ils l’ont fait (le directeur de là où bosse ma compagne sait très bien faire!), en étant grassement payé pour faire beaucoup de causette, de paperasse, mais pas vraiment nous payer mieux ni nous dire merci (la récrimination la plus récurrente que j’aie vu chez les aide-soignantes n’est même pas l’argent, mais juste qu’on leur dise merci pour leur boulot et qu’on le reconnaisse), voire même au contraire.
Et tout ça est concerné dans cette crise.
Sinon, l’Italie a moins de 2 lits de soins intensifs pour 1000 habitants,[la France à peine plus de 3, et l’Allemagne 6. Mais ça n’a probablement rien à voir avec les statistiques de mortalité!
Cf cet article
Excusez le pavé, peut-être polémique, mais je vois des choses depuis des années, sur le terrain, alors j’ai envie d’en faire état, telles qu’elles sont vécues.
Et aujourd’hui on fait semblant de redécouvrir l’eau chaude, alors que pour ma part ça fait trente ans que je regarde la déconfiture du système de santé, et surtout qu’on sait déconstruire pour économiser, mais sans penser une seconde à ce qu’l faut mettre à la place (et je ne parle même pas de demander à ceux qui en sont acteurs quotidiens ce qu’ils en pensent).