@Carignan : 1) Face un péril nouveau et changeant, les pouvoirs publics doivent prendre des décisions avec une information incertaine et incomplète. Qu’il apparaisse a posteriori que ces décisions sont sous-optimales est très probable.
On fera les comptes (macabres) à la fin de cette pandémie ; pour l’instant j’observe que la France est en gros dans la moyenne des pays européens, qui ont pris des mesures parfois très différentes (Suède, par exemple) : cela relativise à mon sens l’efficacité de ces mesures face à une vague qui apparaît assez irrésistible. (La bien meilleure résistance de l’Asie, outre des facteurs culturels certes importants, étant pour moi une énigme.)
Il est évident que bien des choses sont à améliorer dans la préparation et les réponses publiques à ce genre de pandémie (les masques, le dispositif de tests, les capacités de réanimation etc.). Espérons que ce soit une expérience utile pour les générations futures.
2) Si, dans cet environnement incertain, on souhaitait minimiser strictement le nombre de morts (ce qui serait un objectif légitime et moral), alors les mesures seraient bien plus draconiennes que le confinement "light" actuel. Cf. les strictes assignations à domicile en Chine.
Les mesures prises en France ne visent pas à minimiser le nombre de morts, mais à éviter un débordement du système de santé, tout en veillant à minimiser l’impact destructeur pour l’économie. C’est une forme de compromis pragmatique entre la vision "morale" (chrétienne, par exemple : minimiser le nombre de morts) et la vision "utilitariste" (maximiser le PIB). Il est inévitable que la position du curseur entre ces 2 visions fasse toujours des mécontents.
3) Perso, et selon ma compréhension (limitée), je comprends le confinement comme permettant de "gagner du temps" face à ce virus, dans l’attente de vaccins et/ou de traitements efficaces. Donc je pense et j’espère que nous n’aurons pas un cycle incessant de confinements/déconfinements, répondant à des vagues épidémiques revenant sans cesse.
Si toutes les recherches en cours sur les vaccins/traitements devaient échouer, alors il nous faudrait apprendre à vivre un peu plus près de la mort, comme c’est le cas en Afrique, par exemple. Mes amis camerounais ou mauritaniens ont un rapport à la mort un peu différent, moins "dramatique", que chez nous. Évidemment, je pense que ce serait un recul très dommageable.
4) Selon ma compréhension, le tri des patients pour les soins de réanimation ne porte jusqu’à présent que sur l’opportunité médicale de ces soins (par exemple le risque de décès ou d’effets secondaires lourds pour des patients très âgés), et non sur la "préférence" donnée à tels ou tels patients. On doit justement éviter cette seconde situation.
5) Je suis bien conscient que de désigner comme "meurtriers" ceux qui ont transmis le virus aux 35 000 personnes qui sont décédées du COVID en France peut déranger, mais enfin c’est factuel (j’avais initialement écrit "assassins", avant de me corriger, car il n’y évidemment aucune intention chez les contaminateurs), et à mon avis il est constructif que chacun comprenne qu’il est potentiellement un vecteur mortel de ce virus pour ses proches, et d’en tirer les conclusions dans son comportement.
6) C’est peut-être cette insuffisante attention portée à l’autre qui fait que nos sociétés occidentales sont particulièrement touchées par ce virus. Vous parlez des coûts économiques et humains du confinement ; ils sont bien réels, mais à mon sens cette période difficile réclame des sacrifices à chacun. Nous restons très privilégiés : en Afrique, si on reste chez soi sans rien faire, on crève (en tout cas pour 99% de la population) ; ce n’est le cas de personne chez nous, grâce à l’État-providence.
Nous vivons dans des sociétés capitalistes qui rétribuent généreusement l’audace entrepreneuriale, la compétence professionnelle, les "gagneurs", les "forts". Cette période difficile est peut-être une exception, qui nous fait donner la priorité, pour quelques mois, aux "faibles", aux "fragiles". Que la course à l’argent et à la performance passe, pour un temps, au second plan et que l’on donne la priorité, pour un temps, à la protection des plus fragiles, me semble juste, et peut-être un mal pour un bien, un progrès vers des sociétés toujours libérales, toujours capitalistes et performantes, mais peut-être un peu moins individualistes.
[HS @Doubletrouble : Je vous rejoins sur l’idée que cette affaire des caricatures est, pour partie, le symptôme d’un choc de 2 systèmes de valeurs inconciliables : notre système libéral (la liberté comme valeur cardinale) et la forme la plus intolérante du fondamentalisme musulman. Bien sûr, il ne faut rien céder, sinon l’ennemi continue à avancer et peu à peu la liberté s’effrite. A mon sens, il n’y a rien à changer dans le cadre légal actuel (liberté d’expression permettant la critique virulente des religions etc.).
Cela dit, sans rien céder sur la libre expression des caricaturistes, on peut adopter dans la vie sociale des règles de comportement respectant les sensibilités de chacun. C’est du bon sens. Par exemple, la pornographie est autorisée, mais on évite de l’afficher en face des écoles. Charlie Hebdo fait des caricatures parfois provocantes pour les musulmans : c’est leur droit de les publier, et c’est le droit des musulmans de ne pas les aimer. Il me semble qu’on peut assurer la liberté des caricaturistes sans provoquer une partie de la population. Et si certains entreprennent d’utiliser ces caricatures pour attiser la haine (dans les 2 sens : contre les musulmans et contre les adeptes d’un athéisme anti-religieux), on sanctionne - durement (sur ce point je ne suis pas sûr que le cadre législatif actuel soit suffisant).
A nouveau, cela n’a rien d’exceptionnel : le curseur sur ce qui est socialement acceptable et sur ce qui ne l’est pas ne cesse de bouger :
- dans les années 1970, certains vantaient ouvertement la pédophilie ; cela a (heureusement) changé
- dans les années 1980, on voyait régulièrement des femmes dénudées à la télé aux heures de large audience ; cela a changé (heureusement ou pas, je n’en suis pas sûr, c’est juste un constat)
- récemment, on a remplacé une des 2 femmes distribuant les bouquets aux vainqueurs d’étapes du Tour de France par un jeune homme, pour ne pas donner l’impression que les femmes sont des "potiches" (perso je trouve ce changement ridicule)
- le concours Miss France est contesté au même motif (ce que je trouve aussi ridicule)
- un chanteur humoristique (au demeurant talentueux) de France Inter s’est fait (justement) rappeler à l’ordre pour avoir insulté Jésus-Christ dans une chanson - le principal problème à mon sens étant qu’il l’ait fait sur une radio publique
Nous avons tous nos sensibilités propres, et nous placerions tous le curseur différemment. La position actuelle du curseur (qui ne cesse de bouger) reflète la domination de certaines idées. Les sensibilités de la population française évoluent, l’un des facteurs de ce changement étant l’immigration, un autre facteur étant l’attractivité de différents systèmes de valeurs. Si l’on souhaite faire bouger le curseur, c’est sur ce terrain des idées qu’il faut lutter, pas par la violence - ni celle (sanguinaire) des assassins, ni celle (symbolique) de ceux qui croient faire prévaloir leurs idées en provoquant les convictions profondes d’une partie de la population. /HS et j’arrêterai là sur ce sujet, désolé.]
Dernière modification par Scipion8 (02/11/2020 09h43)