A mon avis, il est assez injuste de reprocher à ce pouvoir un manque de clarté dans la lutte contre ces périls (pandémie, terrorisme islamiste), alors qu’il a défini, dès l’origine et sans la moindre ambiguïté, la confusion comme sa ligne directrice. Le destin des premiers de cordée, c’est de toujours se retrouver sur des lignes de crête périlleuses. En 2017, les François ont voulu du "en même temps" ; ils l’ont.
Plus sérieusement, on peut comprendre que la nature changeante et nouvelle de ces 2 périls (même si sur l’islamisme, la France commence malheureusement à avoir une certaine expérience) réclame des ajustements permanents dans les mesures pour y répondre.
A mon sens, les choix politiques, sur les 2 sujets, sont beaucoup plus contraints que certains ne semblent le croire :
- Personne de raisonnable n’est prêt à assumer les centaines de milliers de morts qu’occasionnerait une libre circulation du virus dans la population. La liberté individuelle devient un concept très relatif lorsqu’on tombe gravement malade et qu’on ne peut être soigné par un système de santé débordé (alors qu’on l’a financé par ses impôts) : cette situation serait inacceptable, une rupture du pacte social, et il faut tout faire pour l’éviter. De ce point de vue, la démonstration pédagogique de Macron était claire : le reconfinement était le dernier choix mais c’était le seul dans la situation actuelle. C’est d’ailleurs manifestement l’opinion largement majoritaire des Français.
- Sur l’islamisme, je pense qu’il ne faut pas opposer la liberté d’expression, si précieuse et menacée de façon insidieuse par une idéologie mortifère qui, pas à pas, cherche à s’imposer et à censurer, et le souhait légitime d’éviter des provocations inutiles blessant les convictions de certaines personnes. Que les caricaturistes fassent leur travail librement comme ils l’ont toujours fait, parfois dans l’irrévérence et la provocation, sans avoir besoin d’un porte-voix politique, et que les croyants pratiquent librement leur religion, sans devoir poser à chaque instant les yeux sur des images choquantes. Les caricatures, même les plus choquantes aux yeux des musulmans, ne sont un problème que lorsqu’elles semblent devenir des emblèmes de la République - ce que n’ont jamais voulu les caricaturistes. De ce point de vue, l’intervention de Macron hier sur Al-Jazeera me semble juste et équilibrée.
A ceux qui se plaignent d’un manque de démocratie, je rappellerais que, sur les 2 sujets :
- le Parlement, démocratiquement élu, est régulièrement consulté sur les principales mesures
- toute loi (par exemple la loi à venir sur la lutte contre le séparatisme) peut être l’objet d’un contrôle de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel (dont les membres sont désignés par des responsables démocratiquement élus, directement ou indirectement)
- les mesures administratives sont attaquables devant la juridiction administrative
Ces éléments fondamentaux de notre démocratie sont bien en place et le restent même (certains diraient a fortiori) face à des circonstances exceptionnelles. Si l’on n’est pas satisfait de la façon dont le pays est gouverné, il faut voter, s’engager politiquement en militant et/ou en se présentant aux élections, dialoguer avec ses élus - avant de crier à la tyrannie. Ceux qui s’abstiennent aux élections ou se réfugient dans un vote politiquement marginal et inutile sont vraiment les plus mal placés pour se plaindre.
Au-delà des aspects politiques et juridiques, à mon avis une perspective morale, sur ces 2 sujets, doit intégrer le "test d’universalité" :
- Le confinement m’embête personnellement, mais est-ce que ce serait le cas si ma santé était très vulnérable à ce virus, si j’avais un parent très fragile ou un enfant handicapé, ou si j’avais déjà perdu un proche dans cette pandémie ? Ceux qui dénoncent l’empiètement sur leurs libertés devraient se poser la question, à mon avis.
- Idem sur les caricatures : quelle serait mon opinion sur le sujet si j’étais musulman, prof d’histoire-géo, ou caricaturiste ? Cette interrogation doit conduire à mon sens à une défense sans concession de la liberté, tout en intégrant aux rapports sociaux le respect mutuel nécessaire dans une République dont la devise parle aussi de fraternité.