Ledep a écrit :
C’était l’objectif de tirer le trait au max, plutôt que de suivre hébété le décompte journalier des décès, pour autant le sujet était l’impact économique réel ou irrationnel et pas le nombre de décès, donc je n’ai pas votre conclusion économique de savoir si l’impact actuel économique est démesuré Vs ce qui se produit. Oui j’essaye désespérément qu’on puisse échanger sur l’économie dans cette file…
Avant de dire si l’impact économique du covid est "démesuré", il faudrait déjà savoir l’étendue du phénomène covid. Vous dites 10 fois moins que la grippe de hong-kong (actuellement), moi je dis que ça sera 10 fois plus (ordre de grandeur de ce que sera la crise, quand elle sera passée) ; vous voyez que si nos estimations de la crise sanitaire sont différentes d’un facteur 100, il va être difficile d’échanger sur les conséquences économiques du phénomène, avec des appréciations aussi différentes du phénomène.
Ensuite, pour savoir si l’impact est démesuré, encore faudrait-il savoir ce qu’on appelle l’impact économique du covid.
En schématisant énormément :
- il y a d’abord eu un début d’épidémie en Chine.
- l’Etat chinois a d’abord réagi en essayant d’étouffer l’affaire.
- puis il a réagi en décrétant une quarantaine stricte pour la région de Wuhan soit 60 millions de personnes. Economie à l’arrêt, tout le monde assigné à résidence, sur une population à peu près aussi grande que la France, mine de rien. Et il a aussi construit des hôpitaux à tours de bras. A partir de là, on n’était déjà plus dans "ce qui se passerait si on laissait faire". Il y a avait d’ores et déjà une intervention étatique très forte, sur une population aussi grande que la France, et une économie à l’arrêt.
- de là, c’est passé à d’autres pays, avec les conséquences que l’on sait.
- la bourse a commencé à s’inquiéter le 24 février ("lundi noir") puis a baissé fortement ensuite. C’est juste après la mesure de confinement de 50000 personnes en Italie, mais enfin on ne pouvait pas dire à l’époque que les Etats occidentaux bloquaient l’économie par leurs mesures de confinement. L’économie était encore quasiment libre de fonctionner, à cette période.
- les Etats occidentaux, dont les Etats-Unis, ont pris des mesures fortes, de "confinement" (avec certes différents degrés, différentes gravités, différentes incitations ou obligations) d’une part, et de soutien des entreprises, des ménages et de l’économie d’autre part. Principalement vers la mi-mars.
- si on s’en réfère aux bourses, elles ont arrêté de baisser à peu près au moment du confinement (plus bas du CAC40 vers le 17 mars par exemple). Étonnant, non ? Au moment où Macron met à l’arrêt une grande partie de l’économie réelle de la France, puisque les gens confinés ne peuvent pas travailler et encore moins consommer, la bourse commence à se stabiliser puis à remonter. A croire que les marchés saluent le blocage de l’économie, que ça les rassure…
Ce que je veux dire par là :
- il y a un premier niveau, qui est la crise sanitaire. Cette crise sanitaire est fortement modelée par les interventions étatiques (confinement et autres mesures du même tonneau).
- ces mesures étatiques fortes paralysent une grande partie de l’économie réelle.
- pour autant, l’économie, les entreprises et la population sont maintenus à bout de bras par les Etats. Enlevez l’indemnisation du chômage, les prêts garantis aux entreprises, et le financement de l’ensemble de ces mesures par le déficit public, et tout s’écroulerait.
On a donc, l’Etat qui paralyse l’économie avec la main gauche, au motif de ralentir la pandémie et de la rendre gérable, et de l’autre main qui soutient les ménages et les entreprises pour ne pas qu’ils s’écroulent. Il est difficile de commenter l’intervention étatique, mais ce qui est sûr c’est que si on la commente, il faut prendre en compte l’action de ces deux mains-là.
- en parallèle, les bourses remontent joyeusement, rassurées par les plans d’intervention étatiques. Finalement, les acteurs boursiers, qu’on imagine pourtant être les premiers à critiquer l’excès d’Etat et à vanter les vertus du libéralisme, ne sont pas effrayés par la forte intervention de la main gauche de l’Etat, pourvu qu’il y ait bien aussi l’intervention de la main droite. Au contraire, ils étaient bien en panique jusqu’à l’intervention rassurante de l’Etat paternaliste (même aux USA).
C’est pour cela que je suis bien en peine pour dire si l’impact sur l’économie est trop ceci ou trop cela. Parce que l’impact sur l’économie est surtout le résultat de l’action des Etats.
Ce que je peux en dire c’est :
- la crise sanitaire est d’une ampleur sans précédent dans l’après-seconde-guerre mondiale.
- il y a eu une très forte intervention étatique, pour limiter l’expansion de l’épidémie, ce qui a certes provoqué d’énormes effets négatifs sur l’économie de par les restrictions à la circulation et à la consommation, mais aussi, en parallèle, des mesures de soutien aux ménages, aux entreprises et à l’économie au sens large d’une ampleur stupéfiante également (et on n’en est pas au bout).
Finalement, ce n’est pas l’effet de la pandémie que l’on commente, c’est l’effet des mesures étatiques (au sens large, hein, y compris les banques centrales). Mesures d’une ampleur sans précédent. Mesures qui fédèrent un très large consensus, il n’y a qu’à voir l’unité bipartisane aux USA sur les plans de soutien ! Les républicains du pays de la libre entreprise qui votent une intervention massive de l’état fédéral ! Tout arrive !
A partir de là, trop d’Etat ou pas assez ? Hayek ou Keynes ? Aurait-il fallu faire plutôt ceci ou plutôt cela ? discussions économico-politiques sans fin, pas spécialement intéressantes, et surtout improductives : on n’est pas les gouvernements au pouvoir, on n’est même pas payé pour les conseiller, alors à quoi bon dire ce qu’il aurait fallu faire et ce qu’il faudrait faire ?
A partir de là, je suis un peu limité pour juger les effets de l’économie, puisqu’il s’agit avant tout de commenter et d’interpréter des interventions étatiques, monétaires, budgétaires… Il y a un spécialiste du sujet, c’est Scipion8. Moi je n’ai que de vagues connaissances en macro-économie.
Je suis limité aussi pour essayer d’envisager la suite, puisqu’il s’agit de mesures "étatiques" (au sens large encore fois), à l’échelle du monde entier, qui sont prises un peu en ordre dispersé mais qui vont globalement dans le même sens, et dont on ne peut pas prévoir la suite. Ce que feront les Etats dans 1 mois, dans 2 mois, dans 6 mois, j’ai bien du mal à le prévoir.
Tout ce que je peux dire, c’est que je suis très inquiet sur plusieurs choses :
- il va y avoir beaucoup de défauts d’entreprises. Même avec les perfusions, toutes les entreprises déjà fragiles avant la crise vont sauter, tôt ou tard.
- le redémarrage de l’économie. On sait faire, de rédémarrer une économie mondiale, après l’avoir très fortement freinée ? C’est assez inédit dans l’ampleur, alors je ne suis pas certain qu’on ait bien le mode d’emploi.
- les conséquences en termes de déficit budgétaires des Etats et de poids de la dette. Même si l’économie redémarre, les Etats vont être très lourdement endettés. Les marchés, après avoir bien profité des plans de soutien, ne pardonneront pas aux Etats d’être aussi endetté et feront s’envoler les taux de la dette souveraine des Etats les plus mal en point. On risque d’avoir des crises sur le modèle de la crise grecque (ou argentine, ou …), qui toucheront pas mal d’états. Ca pourrait secouer très fortement l’Union Européenne et la Zone Euro. Toute la question est de savoir si les secousses seront plus ou moins fortes que ce que ces constructions peuvent endurer sans rompre.
Au final, que retiendra-t-on ?
- Que les Etats ont eu raison d’intervenir, "quoi qu’il en coûte", et que cette intervention constitue un modèle solide pour l’avenir ? On ne laissera plus les pandémies ou autre tuer des dizaines de millions de personnes, car les Etats peuvent et savent réagir ?
- ou bien que les Etats, post-covid-19 sont broke (fauchés), qu’ils ont montré les limites de leurs possibilités, et que ces états malades de la dette sont désormais très affaiblis et n’auront plus jamais les moyens de leurs ambitions ? Que c’était en quelque sorte leur baroud d’honneur, leur dernière action d’éclat avant d’être éclipsés et dominés par les marchés et les multinationales ?
Franchement, je n’en sais rien !
Pour résumer :
C’est une crise d’une ampleur inédite.
Il y a une réponse étatique d’une force inédite, aussi bien dans les interventions pour limiter la pandémie que dans les mesures de soutien à l’économie, au point que ce que l’on constate sur l’économie est bien davantage la conséquence des mesures étatiques que la conséquence de la pandémie elle-même.
Il est bien difficile de penser clairement cela, tant cela dépasse les cadres habituels.
Il est bien difficile de savoir où tout cela va nous mener.
Voilà tout ce que je suis capable de vous dire sur l’impact de cette crise sur l’économie, et je suis bien conscient que mon analyse ne casse pas trois pattes à un canard.
Dernière modification par Bernard2K (14/04/2020 23h46)