2 #2101 04/04/2020 11h36
- Caratheodory
- Membre (2019)
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Un phénomène économique est présent depuis le début de la pandémie et est une des raisons pourquoi les pays occidentaux ont tergiversé quelque temps puis ont du prendre des mesures de confinement destructrices: la pénurie des biens essentiels.
Les biens essentiels en pénurie sont pour l’instant le gel hydroalcoolique, les différents types de masques, les bouteilles d’oxygène, les respirateurs et certains médicaments. Il n’y avait pas de pénurie avant l’épidémie et certains de ces biens comme les medicaments ne se sont révélés essentiels que du fait de l’ épidémie.
Il semble que pour le gel hydroalcoolique, la pénurie se résorbe sans doute parce que c’est le moins complexe de ces biens à produire.
Le phénomène qui se produit alors est une augmentation des prix sous l’effet d’achats en panique. Pour le moment on le voit pour les masques avec ces fameux détournements de livraison de masques sur des tarmacs chinois.
Les causes de ces pénuries sont 1) l’insuffisance globale de la production 2) la rupture des chaines d’approvisionnement.
Dans le cadre de l’économie mondialisée, c’est 2) qui pose problème. On peut reformuler cela en termes de dépendance à des fournisseurs exterieurs, la Chine en l’occurrence, mais ce fut l’OPEP en 1973 et 1979.
On ne peut que constater que le marché ne sait pas résoudre ce problème avec la célérité nécessaire. Bien au contraire, il a au cours des décennies précédentes fondé la stratégie de croissance des entreprises en partie sur la délocalisation de la production des divers biens et services, dont ces biens devenus essentiels.
L’Etat le sait encore moins pour des raisons qui sont bien comprises. En particulier parce qu’il est moins réactif en raison de sa taille et de procédures de décision très centralisées et contaminées par les revendications excessives des intérêts particuliers.
Presque chaque type de bien peut devenir essentiel s’il tombe en pénurie. Certes on peut faire sans fraises hivernales mais on ne pourrait pas faire sans pommes de terre.
Je n’ai pas d’opinion sur le caractère essentiel de la chloroquine et attends que celui ci soit établi fermement pour la mettre dans la liste (j’ai très envie que son efficacité thérapeutique soit établie parce que c’est le moins couteux des traitements testés. ). J’observe toutefois que la seule unité de production sur le sol national est une entreprise en dépôt de bilan. Ce qui est la procédure normale quand l’optimisation de la production/distribution de chaque bien passe par la délocalisation des productions.
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Optimisation. Le mathématicien ne peut s’empêcher que remarquer que l’on n’optimise jamais qu’une fonction à valeurs réelles (négligeons les autres situations que l’on pourrait avoir à considérer si on fait des maths ou de l’informatique), dans le cas de l’économie une fonction d’utilité. Et que la définition de la fonction d’utilité est une décision libre - en réalité assez arbitraire. Par exemple évaluer l’économie nationale par le Pib semble très raisonnable avant qu’on se penche sur la définition du Pib et sur comment sont comptabilisées les dépenses publiques régaliennes et de service public. Les nécessités méthodologiques ont conduit à une solution que je trouve assez peu naturelle pour tout dire même si c’est sans doute la moins mauvaise . D’autre part, on peut aussi choisir de regarder plutôt la croissance de l’économie. Une fonction et sa dérivée temporelle ce n’est pas la même chose…..
La théorie actuelle est que les entreprises doivent optimiser la valeur actualisée de leurs prévisions de flux de liquidités opérationnels. Je ne puis m’empêcher de remarquer que le taux d’actualisation est un paramètre absolument essentiel. Et peu discuté dans le grand public. Même ici. On voit des praticiens du calcul mais on ne voit pas discuté comment ce taux d’actualisation se détermine. C’est un peu de la magie noire, le privilège des analystes financiers. C’est sans doute une trivialité pour beaucoup d’intervenants, ceux qui utilisent des options avec virtuosité par exemple. Mais enfin, je pense que c’est moins dur que de comprendre l’énoncé de l’hypothèse de Riemann.
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Bref. Cessons le questionnement théorique. Devenons pratique. Posons la question qui fâche.
Puisque les ruptures de chaines d’approvisionnement démesurément étendues peuvent se produire comment assurer, pour les biens essentiels, l’existence d’une base productive pouvant monter en puissance rapidement de façon que les chaines d’approvisionnement se rompent moins aisément?
C’est une variante d’un problème militaire classique, bien des armées apparemment victorieuses ont du leur défaite à des lignes de communication trop étendues.
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Il me semble que devrait être repensée à cette occasion la pertinence du concept de politique industrielle, vous savez cette vieillerie franco-française qui permettait de construire des centrales nucléaires. Son discrédit m’a toujours semblé absurde, une négligence coupable de l’avenir à plus de 10 ans. Cela dit la façon d’y penser dans le cadre national, caractéristique du gaullisme ou du pompidolisme, n’est plus d’actualité.
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Pour être plus exact ca ne m’a pas toujours paru absurde. C’est au cours de mes études supérieures quand il a fallu choisir mon orientation de carrière que cela m’est apparu, à l’extrême fin des années 1980. Il y avait alors, dans les "medias de qualité", une offensive idéologique s’appuyant sur des arguments d’autorité tirés de la science économique, arguments que j’ai examinés et rejetés pour des raisons purement logiques. Cette offensive avait commencé dans le milieu académique des économistes bien avant et des prix de la Banque Royale de Suède en l’honneur d’Alfred Nobel étaient distribués à des travaux qui me faisaient rire jaune. C’est cette offensive idéologique qui a imposé dans la culture économique de notre temps les erreurs qui nous ont mené là ou nous sommes.
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Bien entendu il y avait un terreau fertile avec l’attraction qu’exerce les idées libertariennes pour qui ne sait pas penser au delà de l’économie et est fasciné par la puissance des outils de la finance moderne.
C’est le bon moment pour relire Ayn Rand, l’obscénité de cette "pensée" ne se révèle pleinement qu’en temps de crise.
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