Adyen a présenté ses résultats hier, qui ont été plutôt mal accueillis par le marché.
En bref, le volume de paiements traités augmente de 60%, le chiffre d’affaires de 37% et l’EBITDA de 38% à 356m vs un consensus à 383,5m (-8%). La marge d’EBITDA est donc passée de 61,3% à 58,6% vs un consensus à 62,3%.
J’ai essayé de creuser les résultats pour comprendre cette faiblesse opérationnelle.
1. Le take-rate sur les paiements qui baisse. Il passe de 20.6bps en H1’21, à 18.6bps en H2’21 à 17.6bps en H1’22. Le management donne plusieurs explications:
This decline is driven by our tiered pricing strategy and continued growth of customers already on the platform, the growth of airline volumes as societies reopened, and ATV increasing — the latter a direct result from growth in travel volumes.
Il y a donc une baisse structurelle qui est liée à leur business model (maintenir des prix bas), mais qui peut aussi être accentuée par une concurrence accrue. Le management ne l’évoque pas, on ne peut donc que le supposer.
La seconde est conjoncturelle puisque la fin du covid rime avec billets d’avion, séjours en hôtels, etc. sur lesquels Adyen prélève moins de frais. C’est donc un phénomène de normalisation auquel on assiste. Le nombre de transactions traitées a ainsi augmenté "que" de 25%, tandis que le panier moyen est passé de 30€ à 38€.
2. Le coût des produits vendus augmente plus vite que le volume des paiements sur la plateforme (+66% vs +55%). Le management ne s’attarde pas dessus, mais on peut deviner que cela vient de leur segment Unified Commerce. C’est dans ce dernier que l’on retrouve l’activité de terminaux de paiements d’Adyen. Encore une fois, c’est une conséquence de la normalisation de la conjoncture: moins d’achats en ligne et plus en magasins.
3. Les coûts opérationnels qui ont augmenté de 76%. Le management évoque la nécessité de voyager pour rencontrer les clients, le retour au bureau des salariés, etc. La encore, il y a donc un phénomène de normalisation. Adyen paie également son côté plus "commercial" que "technologique" par rapport à un Stripe par exemple. Ce que j’avais indiqué sur la file Paypal:
C’est sur ce point que je pense que Stripe a potentiellement un avantage par rapport à Adyen car leur équipe est composée majoritairement d’ingénieurs produits et de dev, alors qu’Adyen est plus orientée Account Manager / service commercial. Leur stratégie vise à signer de gros clients et à faire augmenter le volume des transactions par client plus que de signer beaucoup de clients.
Au final, cette faiblesse opérationnelle semble venir de la réouverture des économies. Comme d’autres fintech et entreprises du ecommerce, la normalisation se fait au dépens des activités à marges plus élevées (paiements digitaux) ce qui grève les marges d’Adyen.
Je me suis ensuite un peu attardé sur leurs différents segments d’activité pour savoir si cette pression sur les marges pourrait se maintenir. Ainsi, en matière de chiffre d’affaires, Adyen scinde ses activités en 3 parties:
1. Digital
Il s’agit de l’activité principale d’Adyen qui gère les paiements en ligne de sites comme Uber, Netflix, Indeed et autres. Elle représente 63% des volumes traités, en croissance de 55%. C’est une activité concurrentielle sur laquelle il est selon moi difficile d’avoir un MOAT car les switching costs sont faibles.
2. Unified commerce
Cette activité représente 23% des paiements et est en croissance de 83%. Les marges y sont probablement plus faibles du fait de la présence des terminaux de paiement et du besoin d’innovation. Dans ce segment, Adyen regroupe en effet le paiement sans contact en magasin, le paiement en ligne + récupère en magasin, etc. C’est à mon sens sur ce segment qu’Adyen a une vraie force par rapport aux autres concurrents car elle peut proposer de nouvelles fonctionnalités de paiement et des expériences "sans friction" à ses clients comme Dior ou Uniqlo. Cela confère une certaine "premiumisation" à l’expérience de paiement en magasin. Leur force est de constamment écouter leur besoins pour développer de nouvelles fonctionnalités. Contrairement à l’activité digitale, cette dernière a des switching costs plus importants ce qui est positif pour le MOAT d’Adyen. Mais son développement devrait potentiellement peser sur la marge opérationnelle.
3. Platforms
Cette activité représente 14% des volumes traités, avec une croissance de 53%. Adyen considère qu’un client appartient au segmente Platforms si +50% des volumes sur sa plateforme passent par Adyen. Il s’agit par exemple de marketplaces ou encore de SMEs. Adyen a récemment présenté Adyen for platforms qui vise à offrir à ses clients des fonctionnalités banking-as-a-service. Un client plateforme pourra ainsi avoir un compte bancaire auprès d’Adyen, recevoir ses fonds dessus, les dépenser, accéder à des crédits instantanés pour financer du BFR, etc. Contrairement à une banque classique, Adyen a les moyens d’analyser très rapidement les besoins et la solvabilité de ses clients professionnels et donc d’octroyer du financement plus rapidement et à moindre risque. Je pense que le développement de cette activité peut être très importante pour Adyen car elle peut y construire un vrai MOAT et un savoir-faire technologique et financier. Cela expliquerait d’ailleurs la hausse importante du recrutement de post à orientation technologique au cours du premier semestre.
We successfully accelerated our hiring pace, with the Adyen team totalling 2,575 FTE at the end of H1 2022. Our focus on hiring for tech roles paid off as we scale our tech-first approach to problem solving
Cette activité qui a un besoin en innovation élevé pourrait également peser sur les marges et augmenter les besoins en investissement technologique, mais c’est un véritable investissement à long terme qu’est en train de faire Adyen, comme indiqué dans leur lettre aux actionnaires:
The expansion of our Adyen for Platforms offering is an investment we are making for the long term. For the foreseeable future, we will be focusing on developing this product suite with a select group of customers, in line with our customer-focused approach to product innovation.
Mais il y aura de la concurrence sur le secteur car aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises sont hébergées par Shopify (qui développe son propre écosystème avec Shopify Payments et autres fonctionnalités), Wix ou Magento (qui appartient à Adobe). D’autres vendent sur Amazon, Youtube ou Instagram. Or ces dernières ont également la possibilité de refermer leur écosystème et développer des solutions en interne. On l’a bien vu avec Apple qui s’étend des puces aux paiements, être un intermédiaire ou partenaire des entreprises de cette taille vous expose à de sérieuses difficultés lorsque ces derniers changent de stratégie.
Au final, la déception opérationnelle s’explique donc par la normalisation de la conjoncture économique et par le développement d’activités à marges plus faibles et à besoin en investissement / innovation plus élevés (Unified commerce + Platforms). Aussi, il peut y avoir à l’avenir un risque de déception vs le consensus qui prévoit une amélioration continue de la marge. Après, c’est selon moi la bonne approche pour Adyen qui va pouvoir renforcer son MOAT à long terme en dehors de l’activité très concurrentielle des paiements digitaux.
Déontologie : je détiens une position acheteuse/vendeuse sur une ou plusieurs société(s) listée(s) dans ce message.