Quelques réflexions (qui risquent de déplaire, mais bon…) :
1) Perso, il me semble difficile de suspecter le gouvernement actuel, fan de la "start-up Nation", de ne pas être "crypto-friendly". Le petit univers français des cryptos a fait un lobbying très efficace auprès des députés LREM (qui appartiennent souvent au même petit monde de la bourgeoisie parisienne soucieuse de diversifier son patrimoine financier), débouchant sur une loi PACTE très favorable aux cryptos dès 2019 avec :
- une fiscalité douce
- un régime d’agrément AMF de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) : il y a 14 PSAN actuellement, avec 7 nouveaux agréments cette année
- un système de visa pour les ICO… alors qu’il s’agissait essentiellement, selon tous les experts, d’opérations frauduleuses : du coup, la "liste blanche" de l’AMF pour les ICO ne comprend que 3 malheureuses ICO…
Le législateur a donc fait l’effort de mettre en place un cadre réglementaire spécifique pour les cryptos. Peut-être n’avez-vous pas, Arnaud, suivi les travaux parlementaires de préparation de la loi PACTE, mais certains - à raison à mes yeux - défendaient une approche beaucoup plus restrictive, voire punitive (notamment la Banque de France).
2) Beaucoup d’entreprises cryptos ne s’installent ni en France, ni en Allemagne, ni aux USA, ni en Chine, mais à Chypre, Malte ou aux Seychelles - et il y a de très bonnes raisons pour cela.
Regardons par exemple où sont basés les principaux exchanges de cryptos :
i) Binance : fondée en Chine avant de se délocaliser vers des cieux plus cléments : les Bermudes, Jersey, Malte
ii) Huobi : fondée en Chine avant de transférer son QG aux Seychelles
iii) Coinbase : USA
iv) Kraken : USA
v) KuCoin : Singapour
vi) Bithumb : Corée du Sud
vii) Bitfinex : Hong Kong ou Iles Vierges (pas très clair)
Sur les 7 premiers exchanges cryptos mondiaux, 3 sont donc situés dans des petits pays dont le point fort n’est pas précisément la réglementation financière (pour être poli). Je pourrais rajouter à cette liste Crypto.com, que l’AMF vient d’ajouter à sa liste noire, et dont le QG européen est à Malte.
Arnaud, vous pensez vraiment que la France devrait attirer ces entreprises chez elle ? Comprenez-vous ce que cela suppose ? Pensez-vous que ces entreprises aiment les îles exotiques seulement pour leur soleil et leurs plages ?
Je ne vais dire du mal d’aucun régulateur d’aucun pays, pour respecter mon devoir de réserve. En revanche, je vais vous dire comment le régulateur (l’AMF et l’ACPR) travaille en France : de façon professionnelle et non laxiste. Les agents de l’AMF et de l’ACPR appliquent strictement les règles fixées par la loi, avec pour seul souci l’intérêt général. Ils sont incorruptibles (et de toute façon, comme on dit à la Banque de France, "la confiance n’exclut pas le contrôle").
Le sport préféré de la finance mondiale, ce n’est pas seulement l’optimisation fiscale : c’est aussi la course au moins-disant réglementaire : quand on a de l’argent sale à laver, on choisit avec soin son pays d’activité, pour avoir le dialogue le plus amical possible avec le régulateur local et trouver des solutions à tous les petits "problèmes". En France, la règle s’applique de la même façon à toutes les institutions financières, l’AMF ou l’ACPR ne pratiquent pas les arrangements entre amis.
Et en France, une journaliste ne se fait pas assassiner quand elle révèle un scandale financier. Ouvrez-vous au monde, renseignez-vous un peu sur ce qui se passe dans ces pays tellement attirants pour les exchanges cryptos.
3) Les banques opèrent dans un cadre très réglementé et ne pourraient pas développer librement une activité crypto, quand bien même elles le voudraient (ce qui n’est pas le cas). Les banques ont des bilans complexes et très leveragés, et elles collectent beaucoup de ressources auprès du public : c’est pourquoi elles sont très régulées : beaucoup de règles à respecter sous le contrôle d’un superviseur (BCE/ACPR), avec contrôles sur pièces et sur place.
Le superviseur est très attentif aux "points de contact" entre le monde des cryptos et la finance conventionnelle (notamment les banques), pour des raisons de risques : risques financiers mais aussi risques judiciaires et réputationnels (blanchiment d’argent, financement du terrorisme). Cela ne risque pas de changer de sitôt, à mon avis. Donc c’est assez illusoire à mon avis d’espérer que les banques vont soudainement devenir adeptes des cryptos.
4) Les pouvoirs publics n’ont aucun intérêt à promouvoir une "monnaie" qu’ils ne contrôlent pas. L’Etat français s’endette en euros. La politique monétaire de la BCE guide les taux d’intérêt en euros. Ce qui permet, compte tenu du risque déflationniste actuel, à l’Etat français d’emprunter actuellement à taux négatifs. La BCE peut lisser le cycle économique avec son taux directeur.
Quel serait l’avantage pour les pouvoirs publics de remplacer l’euro (qu’il soit cash ou numérique / CBDC) par une "monnaie" étrangère ? C’est le cas, malheureusement, de nombreux pays pauvres : ils ne peuvent pas acheter avec leurs monnaies locales (considérées comme peu crédibles) les marchandises dont ils ont besoin sur les marchés internationaux. Du coup, ces États doivent souvent emprunter en dollar US, à des taux qu’ils ne maîtrisent absolument pas. C’est évidemment une grosse perte de souveraineté pour ces États. Pourquoi diable vouloir cela pour la France ? (Je rejoins Piwai sur ce point.)
5) La valeur d’un actif est déterminée par son utilité future, pas par son coût de production.
thomas33 a écrit :
On peut arguer que la valeur "intrinsèque" c’est l’énérgie qu’il a fallu fournir pour le créer. Un peut comme l’or, sa valeur c’est sa rareté et donc l’effort qu’il a fallu pour l’extraire.
J’ai souvent lu cet argument, mais à mon sens il est absurde. Considérons une vache laitière. A votre avis, la valeur intrinsèque de la vache laitière est-elle déterminée par :
i) les coûts engagés depuis sa naissance pour l’entretenir, l’alimenter, la soigner etc.
ou
ii) la somme des flux actualisés de lait et de viande (équarrissage) produits à l’avenir par la vache
Si vous pensez que c’est (i), alors je vous invite en Aveyron et nous ferons affaire : plus la vache est vieille, plus elle sera chère à vos yeux… alors que sa capacité productive décline.
La valeur intrinsèque du Bitcoin n’est pas liée à son coût de production, mais à son utilité future comme moyen de paiement (cela semble très faible) et comme réserve de valeur (au minimum douteuse).
Idem pour la "rareté" : ce n’est pas un argument valable pour justifier un prix élevé. Il y a plein de choses très rares qui ne valent absolument rien (les déjections de mon chat par exemple - mais en ces temps un peu fous je devrais peut-être les convertir en NFT).
6) Il est très habituel pour un État d’interdire l’utilisation d’une monnaie étrangère sur son territoire.
thomas33 a écrit :
Si il pouvait l’arrêter, il y a longtemps que cela serait fait car effectivement cela représente beaucoup de désavantages pour un gouvernement. A partir du moment ou il n’ont plus le choix, la meilleur solution est donc d’accepter ces changements, et de les accompagner tout en anticipants les impacts. Ce qui je pense est la position US. La position Chinoise est un peut différente, car en tant que regime autoritaire, c’est relativement facile pour eux de réguler en interne, mais surtout une immense opportunité pour eux de mettre en avant le yuan.
Je pense que vous vous trompez sur l’attitude du régulateur : pour l’instant, c’est l’indifférence qui domine, car l’interprétation dominante du Bitcoin chez mes collègues, c’est que c’est une bulle spéculative qui finira par éclater en beauté, comme des centaines de bulles avant elle. Le Bitcoin n’est absolument pas une menace crédible pour les monnaies fiat solides, car il est beaucoup trop instable pour être utilisé comme moyen de paiement.
En revanche, le Bitcoin comme réserve de valeur est une nuisance pour les monnaies fiat faisant face à une inflation excessive, comme la lire turque actuellement. D’où son interdiction récente comme moyen de paiement en Turquie (je pense que d’autres pays vont suivre).
Je pense aussi que vous vous trompez sur "l’impuissance" supposée des pouvoirs publics : il n’y a rien de plus simple que de pondre un décret interdisant l’utilisation de toute autre devise que la devise nationale, sous peine d’emprisonnement et de fortes amendes. Ces décrets existent dans de nombreux pays, notamment des pays émergents, pour lutter contre la dollarisation. La plupart des citoyens et des entreprises respectant la loi, l’impact sur les cryptos serait immédiat.
Bien sûr, je distingue bien le Bitcoin et autres cryptos privées des projets en cours de CBDC (central bank digital currencies), qui devraient aboutir à de nombreuses devises fiat numériques ces prochaines années.
Dernière modification par Scipion8 (17/04/2021 23h33)