J’aimerai faire une liste d’outils utilisables pour transmettre 2 M€ à son fils après 70 ans, en limitant les frais de mutation, en partant des principes les plus classiques pour finir sur des solutions plus originales :
On peut décomposer le problème en 2 :
A. D’abord essayer d’arrêter de générer du capital supplémentaire qui sera à transmettre --> Donc trouver un moyen pour que la capital actuel enrichisse la personne à gratifier et pas le donateur.
B. Trouver un moyen de transmettre le capital actuel.
. Solutions classiques :
. Assurance vie avec primes versées avant 70 ans, à partir des deux parents : de l’ordre de 305k€
transférable en franchise d’impôt complète, et 1,4M€ taxés à 20%.
. Dons manuels de l’ordre de 30k par 15 ans, donations de 100k par 15 ans (à doubler avec les deux parents)
. Dons d’usage (anniversaire, Noel, installation,…) < 1% du patrimoine par an
. Investir dans des biens a forte déduction de frais de transmission : Forêts,…
. Autres Principes utilisables :
A. Transmettre dès aujourd’hui les produits à venir de son patrimoine
. Le plus classique : Le produit des primes d’assurance vie versées après 70 ans sont exonérées d’impôt : inconvénient --> Au delà des 30,5k€, les primes sont taxées --> on est vite limité
. Accorder un prêt à son enfant sans intérêt, avec remboursement sur simple demande du prêteur et au plus tard au jour du décès.
Est-ce à risque ? "la faculté pour le prêteur de se faire rembourser à une époque fixée par lui constituait, non pas une condition potestative affectant l’existence même de l’obligation, mais une simple modalité d’exécution de l’engagement contracté par l’emprunteur » : Cass. 1ère civ., 7 févr. 1955. --> pas risque si on prend les bonnes précautions : il est nécessaire de rédiger un écrit. L’opération sera également déclarée à l’administration fiscale pour éviter les contestations et l’acte précisera les conditions de remboursement.
Conséquences : le fils dispose de la somme "gratuitement" et devra la rembourser au décès du père à sa valeur nominale sans aucun intérêt.
Applications : toutes celles qui permettent à ce montant de générer des produits, bien sûr à l’unique bénéfice du fils, peut servir à financer des biens fructifères, servir d’apport à une société civile, servir d’apport pour emprunter,…
. Mise en réserve des bénéfices d’une société, avec parents usufruitiers et enfant nu-propriétaire.
Conséquences : les bénéfices de la société viennent enrichir le nu-propriétaire, sans civilement appauvrir l’usufruitier puisque les fruits n’existent que s’ils sont distribués.
De plus, si des dividendes venaient à être versés à partir des réserves, ils seraient alors considérés comme un quasi usufruit pour l’usufruitier et ouvriraient une créance de restitution à la succession de l’usufruitier au bénéfice du nu-propriétaire.
Est-ce à risque ?
La cour de cassation s’est déjà prononcée à maintes reprises, il n’y a pas appauvrissement de l’usufruitier, puisque les dividendes n’existent simplement pas, ce n’est pas une donation indirecte.
Néanmoins, Une mise en réserve systématique des résultats, des dividendes tirés des réserves sans que celles-ci ne soient restées longtemps en réserve, une augmentation régulière des réserves sans intérêt pour la société sont potentiellement autant d’indice d’abus de droit fiscal. Donc, à utiliser, mais à ne pas abuser…
. Une société civile (ou SAS), avec parents, enfant associés, on place dans les statuts une clause de répartition inégalitaire des bénéfices et on distribue 85% à l’enfant, quelque soit son nombre de parts.
Est-ce à risque ? : Plusieurs fois consacrée par la cour de cassation, cette pratique n’est pas une donation indirecte. Nous ne sommes pas à l’abri d’un revirement de jurisprudence à venir.
. Un peu plus original : rédiger un commodat, (article 1875 du code civil), "contrat de prêt à usage" au bénéfice du fils sur un bien immeuble pour une durée qui peut aller au delà de la vie du parent. Le contrat peut même survivre au défunt donateur. Pratique ancestrale qui nous vient du droit romain et toujours valide aujourd’hui.
Conséquences : le fils bénéficiera d’un droit d’usage sur un bien immobilier appartenant au parent, sans avoir à payer aucun loyer. Le contrat stipulera simplement les charges d’entretien incombant au fils.
Est-ce à risques ?: La cour de cassation du 22 juin 2016 est venu confirmer qu’il ne s’agissait pas d’une libéralité (donation), ni d’un avantage indirect, par suite n’était donc pas rapportable à la succession.
. Méthode indirecte, utiliser le patrimoine du père (par exemple des parts d’une société civile) pour garantir un emprunt fait par le fils.
Est-ce à risques ? : Non, si c’est prévu dans les statuts de la société civile du père et que le fils y est associé.
B. Trouver un moyen de transmettre le capital actuel.
. Le plus classique : Créer une décote d’illiquidité pour transmettre : En effet, un bien en indivision, un bien immobilier loué, ou des parts de société civile (avec clauses statutaires un peu restrictives) permettent d’appliquer une décote d’illiquidité).
Est-ce à risque ? : Dès lors qu’on reste dans des limites raisonnables (parts de SC< 15-20% par exemple, une décote de 40% a même été acceptée en justice pour une indivision, mais c’est extrême et à déconseiller)), la cour de cassation le 6 fev 2016 a confirmé que les droits sur une indivision, tout comme les parts sociales détenues par l’associé d’une société civile immobilière, ont une valeur inférieure à la valeur des parts.
Applications : il est même possible de cumuler deux décotes (par exemple, bien loué apporté à société civile, dont les parts seront données).
. Utiliser l’estimation fiscale de l’usufruit temporaire à son profit.
L’usufruit temporaire est estimé à 23% par l’administration fiscale pour toute durée inférieure à 10 ans.
Rien n’empêche donc de donner la propriété d’un bien à son enfant avec une réserve d’usufruit temporaire d’un an par exemple, cela permet d’appliquer une décote de ..23% sur la valeur d’actif transmis.
Est-ce à risque ? : De prime abord, évidemment, mais… il est légitime de se poser la question. L’administration a prévu textuellement le cas d’un usufruit inférieur à 10 ans et a choisi de le chiffrer à 23%. En cas de donation de l’usufruit, le fisc n’y verrait aucun problème.
Par suite pour les audacieux, appliqué intelligemment, à savoir en se débrouillant pour montrer que l’usufruit d’un an était vraiment nécessaire au donateur, ce peut être défendable. Pour écarter l’abus de droit, il faut être très convaincant.
En clair, probablement plus théorique que pratique, mais dans certaines situations, sur 2 ou 3 ans, pourquoi pas ?
. Plutôt que de donner la nu-propriété d’un bien immobilier à fort rendement en direct à l’enfant, on apporte la NP à une société civile, qui a des statuts qui vont bien + quelques biens fructifères pour payer les charges et on donne les parts de la SCI en pleine propriété.
1. Apport de la NP à la SC
2. Donation des parts en PP à l’enfant : L’intérêt est multiple -->
. L’apport de la NP est calculé selon des règles économiques (flux futurs de revenus * espérance de vie de l’usufruitier) et non pas selon le barème fiscal 669 du CGI qui doit être utilisé quand on transfére le bien en direct, or ce barème surestime la valeur de la part en NP surtout quand le bien génère un bon rendement.
. On peut même appliquer une décote d’illiquidité, si les statuts sont un peu contraignants
-->On a transféré la NP du bien immobilier à bien moindre frais que si on l’avait fait en direct.
Est-ce à risques ? : Attention à ce que la société civile ait des revenus via ses quelques biens fructifères (Contrat de capitalisation, SCPI,..)
. Moins commun, on utilise le mécanisme de l’accession, via le droit des biens et du démembrement, en allant au-delà de ce que proposait l’un de nous plus haut dans la file, à savoir :
1. Parent achète un terrain constructible (très important qu’il soit constructible)
2. Il donne la nue-propriété à l’enfant du terrain.
3. L’usufruitier peut réaliser toutes les dépenses d’amélioration sur le terrain qu’il veut sans avoir droit à aucune compensation de la part de l’usufruitier, (il peut même le faire sans son accord dès lors qu’il préserve la substance du bien). Or, construire un bien immobilier sur un terrain constructible est …une amélioration. Par suite l’usufruitier fait construire un bien immobilier sur le terrain,à ses frais exclusifs.
4. Il profite de l’usufruit du bien sa vie durant, il est propriétaire du bien jusqu’à sa mort.
5. À l’extinction de l’usufruit, le nu-propriétaire récupère le terrain, et par le mécanisme de l’accession de propriété se retrouve propriétaire du bien immobilier construit sur son terrain sans avoir à payer une quelconque compensation ou taxe.
6. il est même possible pour les deux parties de revendre le bien s’ils le souhaitent et il y aura répartition du prix entre nu propriétaire et usufruitier selon …l’âge de l’usufruitier mais absolument pas du coût des travaux fait par lui. Le nu-propritaire se trouve ainsi indirectement enrichi, sans que ce soit considéré comme une donation.
Est-ce à risques ? : Il est essentiel pour écarter l’intention libérale qui va caractériser la donation indirecte, que l’usufruitier y trouve un intérêt personnel --> par exemple, y vivre, par exemple en tirer des revenus complémentaires, par exemple y venir en vacance tous les étés,… Le mieux est de le faire pas trop vieux. Une quinzaine d’années (prévisionnelles de survie) au plus doivent être suffisantes pour justifier l’opération.
Remarques : Dans le cas où il y plusieurs enfants, attention. Si vous donnez la Nu-propriété du terrain en donation simple, l’accroissement lié à la construction ne sera pas taxé mais sera rapportable (pour l’équilibre entre les enfants) et comptera pour le calcul de la réserve, si vous le faites au travers d’une donation partage, la valeur sera figée au jour de la donation et l’immeuble n’apparaitra pas ni pour la réserve, ni pour le rapport entre les enfants. --> A savoir pour choisir en connaissance de cause.
. Encore moins commun, on utilise le bail emphytéotique pour dévaloriser un bien et le donner ensuite; cf : Bail emphytéotique : définitions, droits et obligations
1. Vous créez une société civile à l’IS, avec votre conjoint, l’enfant, voire ses propres enfants également, voire plus d’associés (à condition de faire garder le pouvoir à votre fils via des parts à droit de vote plural).
2. Capital social faible, avec une seule part pour vous, une pour votre conjoint (le cas échéant), de nombreuses parts à votre enfant (qui apportera une somme modique que vous lui aurez donnée préalablement manuellement, dans les limites légales évidemment)
3. Votre part unique est à vote multiples, qui vous donne la majorité des droits de vote (prérogative qui s’éteint à votre décès). Vous pouvez faire de même pour celle de votre conjoint.
4. Vous concédez à la SCI un bail emphytéotique de 99 ans sur le bien immobilier que vous possédez en propre (obligatoirement devant notaire, avec légère taxation en frais d’enregistrement).
---> CONSEQUENCES : . Vous avez donné un droit réel à la SCI sur le bien immobilier, en contre partie de quoi, elle a la charge de financer tous les gros travaux, taxe foncière,… La SCI devra payer une redevance mensuelle (appelé canon emphytéotique) au propriétaire du bien (vous), qui est/doit être minime (c’est le principe légal), et donc bien inférieure aux loyers reçus du bien immobilier. Le différentiel sera le bénéfice de la SCI, (aux charges de structure près), imposable à l’IS (15% en dessous d’un seuil). A vous, avec votre part à droit de vote plural, de décider ce que vous mettez en distribution en fonction de vos besoins ou de ceux de votre enfant (puisqu’une distribution inégalitaire des bénéfices est toujours possible par voie de clause statutaire, voire par délibération préalable à la clôture de l’exercice).
Si vous voulez vous garder la possibilité de vendre le bien immobilier, vous dissolvez la SCI, le bail s’éteint par confusion, puisque la société n’existe plus, le propriétaire (donc vous, reprend tous ses droits), et vous revendez le bien en profitant de l’abattement pour durée de détention.
5. Après quelques années, si vous ne voulez pas vendre, ce qui le cas dans une optique de transmission et n’avez pas besoin du revenu lié au canon emphytéotique, (qui rappelons-le est minime), vous donnez la pleine propriété de votre immeuble à votre enfant. La valeur de votre bien est calculée en fonction du bail emphytéotique de 99 ans qui en grève la propriété, et se trouve de fait très affaiblie.
---> Conséquences : Le bien transmis vaut très peu, rentre donc dans les abattements habituels de 100k€ par enfant. Vous avez transmis le bien très probablement en franchise de droits, vous restez maitre à bord de la SCI.
6. A votre décès : les enfants dissolvent la SCI.
---> Conséquences : le propriétaire du bien immobilier (votre enfant), récupère le bien immobilier, libéré du bail, sans aucune autre forme de taxation.
Est-ce à risques ? : J’aurais tendance à dire oui, maintenant, cette technique est recommandée par le professeur Henri HOVASSE, éminent juriste spécialiste de la gestion de patrimoine, qui l’a déjà pratiquée.
Je pense que moyennant un certain nombre de précautions, cette pratique doit pouvoir se décliner avec un risque très minime.
Bonne réflexion, et merci de compléter par d’éventuelles idées supplémentaires;
NB: Attention, tout ceci ne reflète que mon avis, même s’il est le plus souvent directement calqué sur celui d’éminents spécialistes que j’ai pu lire ou écouter, mais pensez à appliquer les multiples précautions d’usage pour écarter l’abus de droit.
Dernière modification par HeureuxUlysse (04/05/2020 20h28)