Frédéric Moyne, président-directeur général d’Albioma INVESTIR.FR | LE 22/01/21 À 17:35 | MIS À JOUR LE 22/01/21 À 21:17 a écrit :
Le producteur d’électricité, très présent outre-mer, investit lourdement dans la conversion de ses centrales thermiques à la seule biomasse.
Comment analysez-vous l’envolée en Bourse d’Albioma et des autres acteurs des énergies vertes, dont les cours ont plus ou moins doublé en 2020 ?
Ce parcours résulte de la prise en compte, par le marché, des performances opérationnelle et financière de notre société, ainsi que de ses perspectives et bonnes pratiques en matière environnemental, social et de gouvernance (ESG). Les investisseurs reconnaissent le positionnement d’Albioma sur les énergies renouvelables dans un contexte de lutte contre le réchauffement climatique. Il y a, enfin, un effet de rareté des véhicules cotés sur toutes les places financières. Le mouvement est général et ne concerne pas que les capitalisations petites et moyennes, dont Solaria en Espagne, Scatec Solar en Suède ou Boralex au Canada, mais aussi les grandes utilities,qui ont pris franchement le virage des énergies renouvelables, comme le portugais EDP. Ces thématiques, Renouvelables et ESG, vont rester prégnantes en 2021.
Que peuvent apporter les plans de relance et le pacte vert européen à l’entreprise et au secteur ?
Ces plans sont faits pour canaliser les investissements vers des technologies qui, sans ce soutien, ne se développeraient pas, tel l’hydrogène vert. Le solaire, devenu une énergie compétitive, peut croître sans ces subventions et ne devrait donc pas bénéficier d’une enveloppe spécifique. Dans les DOM et dans nos métiers, nous avions déjà nos propres projets de décarbonation et n’avons pas attendu le plan de relance pour annoncer notre objectif d’utiliser de la biomasse à 100?% dans nos centrales thermiques. Nous n’allons pas être concernés par le plan, qui vise en France plutôt l’efficacité énergétique ou l’hydrogène, mais il a mis un coup de projecteur sur les valeurs vertes cotées.
Albioma utilise encore du charbon dans trois de ses centrales thermiques françaises. Quel est le calendrier pour les convertir à la seule biomasse ?
Notre objectif est l’abandon total du charbon dans les DOM à un horizon 2025. La totalité de nos centrales thermiques fonctionnera alors à la biomasse, comme déjà Galion 2, en Martinique [entrée en service fin 2018], tandis que la turbine à combustion de Saint-Pierre, à La Réunion [opérationnelle depuis début 2019], utilise du bioéthanol. Les trois centrales à convertir, Le Moule, en Guadeloupe, Bois-Rouge et le Gol, à La Réunion, sont construites grosso modo sur le même modèle. D’une puissance d’environ 100 mégawatts (MW), elles sont composées de trois tranches chacune. Nous en avons donc neuf à convertir, sachant que ces usines pèsent un poids significatif sur leur réseau électrique. Pour éviter un black-out et assurer la fourniture d’énergie pendant les campagnes sucrières, le programme de travaux va durer jusqu’en 2024.
Le premier chantier, pour la conversion de la tranche 3 du Moule, a subi quelques retards à cause du confinement, mais cette unité a été remise en service en novembre 2020 comme prévu, et elle est un succès opérationnel et industriel. Cette conversion représente un investissement de 80 millions d’euros, qui comprend aussi la construction du dôme de stockage de la biomasse. Pour Bois-Rouge, à La Réunion, nous avons obtenu en 2020 l’accord de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour convertir les trois tranches, ainsi que la garantie d’une rémunération de 8,3% des capitaux engagés et la prolongation jusqu’en 2043 du contrat de vente à EDF [qui a le monopole de la distribution d’électricité dans les DOM]. Les travaux vont commencer en 2021 pour le stockage de la biomasse, avec une conversion des trois tranches prévue d’ici à 2023.
Pour la centrale du Gol, et sous réserve d’un accord de la CRE cette année, le chantier doit s’effectuer selon un calendrier décalé de douze à dix-huit mois par rapport à Bois-Rouge, de même que pour les tranches 1 et 2 du Moule. Nos centrales auront ainsi deux vies : la première, en brûlant du charbon et de la bagasse, le résidu fibreux de la canne à sucre ; la seconde, en fonctionnant à 100?% à la biomasse, ce qui permet de réduire les émissions de plus de 85%. Ces investissements témoignent de la capacité du groupe à renouveler son modèle.
Cette décarbonation de la production a-t-elle des incidences financières ?
L’objectif 100 % biomasse pour le groupe est un nouvel engagement pris à l’occasion du placement privé de 100 millions d’euros, effectué en décembre. Il s’agit de notre premier Sustainability-Linked Euro PP, un emprunt dont la marge est indexée sur notre trajectoire de recours à la biomasse, soit plus de 80% en 2023, plus de 90% en 2025 et près de 100% en 2030. En fonction du respect de ces engagements, la marge de l’Euro PP pourra varier à la hausse ou à la baisse jusqu’à 25 points de base, soit 250.000 € par an, ce qui n’est pas rien.
Quelles ambitions avez-vous dans le domaine du photovoltaïque, une activité encore modeste chez Albioma ?
Nous avons accéléré dans le solaire, avec 35 MW de projets gagnés en 2020. Nous capitalisons à la fois sur notre présence dans les DOM et sur l’acquisition d’Eneco en métropole, en 2018. Nos projets privilégient les zones non interconnectées mais aussi la métropole, tout en restant sur les marchés des centrales de taille petite et moyenne, sur toiture, avec du stockage et de l’innovation, comme l’amélioration de la qualité de service au réseau.
Au Brésil, où le groupe en est-il ? Le rythme devait être d’un nouveau projet tous les douze à dix-huit mois.
Nous avons mis en service en décembre notre quatrième centrale de cogénération, celle de Vale do Parana, dans l’Etat de Sao Paulo. Pour la première fois dans le pays, nous avons conçu et construit cette usine de 48 MW et apporté la preuve que nous pouvions effectuer le revamping intégral d’une centrale, ce que nous n’aurions pas fait au début de notre implantation au Brésil, en 2013. Elle bénéficie d’un contrat de vente d’électricité jusqu’en 2046. Nous avons désormais une légitimité sur ce marché, où nous avons aussi doublé la capacité énergétique des trois centrales acquises précédemment. Notre objectif est de signer de bons projets. Ce n’est pas grave si le délai de douze à dix-huit mois n’est pas respecté.
Quelle est votre politique de retour à l’actionnaire ?
Nous versons un dividende en croissance chaque année et majoré de 10 % pour les actionnaires au nominatif depuis plus de deux ans. Il est proposé en actions pour la moitié de son montant et représente 50% du résultat.
LA QUESTION QUI DÉRANGE
Pas de regret d’être sorti de l’éolien et de la méthanisation ?
Nous n’avons aucun regret d’avoir quitté le secteur de l’éolien, où Albioma n’était pas exploitant de centrales. Pour ce qui est de la méthanisation, le groupe était un trop petit acteur et n’a jamais gagné d’argent.