@Tahure : Finalement je n’ai jamais osé passer commande ;-)
Cela ne me surprend pas trop que Jumia se retire du Cameroun. A vrai dire, cela me surprenait davantage qu’ils arrivent à y faire des affaires, compte tenu des immenses problèmes de logistique dans le pays. Ce n’est pas le premier échec d’une plateforme de e-commerce au Cameroun.
Investir au Cameroun a écrit :
Le 19 novembre 2019, le principal e-commerçant du continent a suspendu, sans préavis, son activité principale de marketplace (« place de marché ») au Cameroun après cinq ans d’activité. Pour expliquer cette décision, Jumia évoque l’immaturité du marché camerounais en matière de e-commerce.
Cette suspension d’activités survient 3 ans seulement après celui du site français de e-commerce Cdiscount, appartenant au groupe de grande distribution Casino. Cdiscount avait mis à l’index de longs délais de passage des marchandises au port de Douala, ainsi que pratiques anticoncurrentielles que lui livraient alors des sites locaux proposant des produits contrefaits ou bas de gamme à des prix très bas.
Pourtant beaucoup de Camerounais utilisaient Jumia. Il y a clairement une forte demande pour de l’e-commerce au Cameroun et dans de nombreux pays africains, compte tenu des marges énormes imposés par le commerce traditionnel, sur des produits peu variés et de faible qualité. Pour beaucoup de produits mes collègues camerounais font leur shopping lors de voyages en Europe… (ou alors ils me demandaient de leur ramener des produits spécifiques)
Apparemment Jumia ne parvenait à desservir que 2 des 10 régions du Cameroun (les 2 principales économiquement : Centre avec Yaoundé et Littoral avec Douala). Pas étonnant compte tenu des problèmes de sécurité à l’Ouest (conflit avec la minorité anglophone) et au Nord (Boko Haram).
Pour me faire une idée plus précise sur les services de Jumia, j’ai regardé les commentaires sur son application Jumia Online Shopping sur Google Play : elle a été téléchargée plus de 10 millions de fois et elle est assez bien notée (4,4) sur la base de 503 000 évaluations (ça donne une idée de la taille de sa clientèle actuelle).
Les points positifs qui ressortent des commentaires :
- bon rapport qualité prix
- bonnes affaires (articles bien plus chers en magasin)
- diversité des produits (exemple de produits électroniques introuvables au Maroc, qui n’est pourtant pas le marché africain le moins achalandé)
- rapidité de commande et de livraison
- promotions intéressantes, information par notifications
Les points négatifs :
- mauvaise gestion des frais de livraison (les articles d’une même commande sont livrés séparément, augmentant ainsi les frais de livraison)
- service de retour médiocre
- mauvaise couverture régionale : par exemple seulement 2 régions sur 10 au Cameroun, seulement les villes chefs lieu de région en Côte-d’Ivoire etc.
- cette mauvaise couverture géographique oblige certains clients à payer des agents pour récupérer leurs produits, augmentant ainsi les coûts totaux de livraison
Bref, sans surprise on voit que la principale difficulté à cette activité en Afrique est d’ordre logistique, en lien avec la mauvaise qualité générale des infrastructures. En revanche il y a clairement une forte demande de la classe bourgeoise locale en émergence, confrontée à des produits peu variés et de mauvaise qualité proposés à des prix excessifs par le commerce traditionnel : une cible idéale pour un "disrupteur" comme Jumia.
Avec son retrait du Cameroun, Jumia couvre désormais 13 pays africains, représentant 73% du PIB africain (contre 75% avant le retrait du Cameroun).

Clairement Jumia a une stratégie de couverture des pays africains les plus importants économiquement, en laissant de côté la masse des petits pays pauvres (notamment en Afrique francophone). Bon, dans le cas du Cameroun, ils ont peut-être voulu aller trop vite…
Je suis rentré héroïquement sur la valeur en août, en pleine baisse, récoltant une moins-value latente de 50%… sur 200€ (ce qui relativise mon courage). J’envisage maintenant de renforcer ce dossier évidemment très risqué mais assez passionnant. Mais je pense qu’il n’y a pas besoin de se presser, car les difficultés actuelles de Jumia ne vont pas se dissiper du jour au lendemain.
PS : J’apprends actuellement l’arabe et j’arrive maintenant à déchiffrer les mots ! J’en suis à 300 mots (supposément) maîtrisés et j’espère me perfectionner dans mon nouveau pays de mission (où Jumia n’est pas actif). J’ai ainsi découvert qu’al-jamia signifie "tout le monde" en arabe. Cela a donné jumuiya ("collectif") en swahili, la langue vernaculaire de l’Afrique de l’Est (fusion entre l’arabe et le bantou). Pas sûr que ce soit une bonne idée marketing pour Jumia d’avoir pris un nom swahili, car dans certains pays d’Afrique de l’Est où j’ai travaillé (Ouganda, notamment), le swahili est associé aux envahisseurs et esclavagistes et n’est pas toujours jugé "politiquement correct" (même s’il a statut de langue officielle). Mes collègues ougandais préfèrent parler en anglais (même si c’est la langue héritée du colon), ou bien les dialectes locaux.
PS2 : En termes nominaux le PIB de l’Afrique est de 2450 milliards $, comparable à celui de la France. Pour comparaison, le PIB de l’Amérique latine est comparable à celui de l’Allemagne.
Dernière modification par Scipion8 (24/11/2019 14h58)