5 #1 13/02/2025 19h05
- Lollip
- Membre (2019)
Top 50 Année 2025
Top 50 Entreprendre - Réputation : 52
Bonjour à tous,
Je partage ci-dessous un retour d’expérience concernant un mal relativement répandu en entreprise : le harcèlement.
J’étais côté victime, on appellera "John" la personne signalée. Je me concentrerai sur les leçons à retenir de manière générale, mais je n’ai pas de problème à partager les grandes lignes de mon cas spécifique, n’hésitez pas si vous pensez que cela apporterait de la plus-value.
N’hésitez bien sûr pas à compléter ou signaler si vous avez un écho différent
- Enquête pour comportement inapproprié / harcèlement :
Une entreprise française répond aux exigences de la loi française.
Si quelqu’un signale un cas de harcèlement aux RH, les RH sont légalement obligés de mener une enquête.
Tant que la personne accusée est salariée de l’entreprise, ou que la victime est salariée, ou que cela se passe dans les locaux de l’entreprise (même si accusé et victime sont externes), etc, la responsabilité de l’entreprise est engagée et vous pouvez tout à fait contacter les RH.
Il peut s’agir d’une enquête menée par les RH ; ou par une société externe pour éviter toute contestation ou conflit d’intérêt ; ou par la compliance si la personne incriminée est très haut placée.
- L’anonymat de l’enquête :
Vos échanges avec une RH sont confidentiels, ainsi que toutes les preuves que vous pouvez lui transmettre. Dans mon cas, j’ai échangé pendant quelques semaines avec une RH, avant de demander "officiellement" une enquête. J’aurais très bien pu tout lui raconter, lui transmettre toutes mes preuves, puis changer d’avis : elle n’aurait alors pas pu transmettre/utiliser mes preuves et témoignage.
Les enquêtes sont également anonymes. Le rapport donnant les conclusions ne dira pas "Alpha et Beta ont dit qu’ils ont vu John dire telle insulte à Lollip", mais "les témoignages permettent de conclure que John a eu un comportement insultant et non-approprié".
La personne incriminée n’aura pas accès au rapport, et ne saura pas qui a parlé ni ce qui a été dit. (Dans mon cas, ils ont deviné que j’avais parlé, mais n’ont pas su quels collègues avaient témoigné par exemple.) La victime non plus.
Je pensais un peu naïvement qu’on demanderait à John "Lollip a dit que vous avez fait telle chose, est-ce que vous le reconnaissez ou est-ce que vous contestez", mais pas du tout ; on lui a posé des questions beaucoup plus générales, afin de préserver l’anonymat des témoins et lanceurs d’alerte.
- Preuves : écrits, enregistrements & témoignages :
Bien sûr, avoir des écrits est l’idéal.
Mais un harceleur peut être intelligent et veiller à ne pas laisser d’écrit. Du coup, depuis décembre 2023, les enregistrements pris à l’insu d’une personne peuvent être retenus contre lui dans certains cas spécifiques, dont le harcèlement. Chaque téléphone permet d’enregistrer facilement.
Ne PAS avoir de cas de conscience : si une personne se comporte mal et est enregistrée, c’est elle qui est en tort, pas celui qui l’enregistre. De manière contre-intuitive, se confier à un(e) collègue de confiance non seulement ne vous sera pas reproché, mais en plus joue en votre faveur. Cela permet d’établir une temporalité, et surtout le collègue sera désormais plus attentif aux "détails", et aura moins de scrupule à parler s’il est interviewé lors de l’enquête.
Bien sûr, la personne à qui vous vous confiez peut vous décevoir. Un collègue à qui je m’étais confiée m’a dit qu’il y aurait toujours des personnes qui se comporteraient mal avec moi, donc même si c’était John qui se comportait mal, c’était à moi d’apprendre à "laisser glisser"…
- Les représailles :
J’avais signalé un "harcèlement sexuel puis moral". La RH m’a expliqué qu’en réalité, ce que j’appelais "harcèlement moral" était des représailles : John s’acharnait contre moi à cause de mon premier signalement à son chef. Cela faisait donc toujours partie du harcèlement sexuel d’origine.
Si une personne signale une situation de harcèlement, les représailles contre elle sont complètement illégales, y compris si elle se trompe. La seule exception est si elle a fait exprès de mentir pour essayer de nuire à celui qu’elle accuse.
- La non-conclusion au harcèlement :
J’avais de nombreuses preuves : SMS, messages Teams, enregistrements, témoignages de collègues, etc, de manière répétée sur un an et demi. Malgré tout, la RH m’a prévenue qu’ils ne concluaient jamais à une situation de harcèlement, car c’était subjectif et ils souhaitaient éviter qu’un juge aux Prudhommes annule cette conclusion et ses conséquences. A la place, ils concluaient à quelque chose comme "comportement inapproprié / sexiste".
L’enquête a effectivement officiellement conclu qu’il n’y avait pas de harcèlement.
(John a indiqué à des collègues avoir reçu un blâme pour comportement inapproprié, mais officiellement j’ai uniquement reçu l’info qu’il n’y avait pas eu de harcèlement. Il a ensuite recommencé avec d’autres, et s’est cette fois fait virer.)
Avec le recul, je pense que c’est plus de la comm’ / pour éviter des demandes de dédommagement / pour ne pas complètement braquer le coupable / pour ne pas trop l’isoler dans son équipe si l’info fuite.
Je n’ai aucune idée si c’est une pratique répandue ou si c’est propre à cette entreprise.
- La diffamation :
La diffamation est constituée quand on impute à un tiers, de mauvaise foi, des faits attentatoires à son honneur et à sa réputation.
Si quelqu’un vous accuse de diffamation, vous avez comme défense : l’exception de vérité (apporter la preuve des faits en question), l’exception de bonne foi (ex "j’ai raisonnablement enquêté sur le sujet et ça semblait tout à fait vrai" ; but légitime d’information) ; l’absence de caractère diffamatoire des propos ; la prescription (généralement 3 mois).
Autrement dit, si je dis à certaines collègues "John a passé des mois à me faire des avances, alors que j’étais claire que je n’étais pas intéressée, je n’en pouvais plus, s’il fait pareil avec t*oi préviens les RH", que l’information tourne, et que j’ai un minimum de preuves : John peut être furieux et solliciter tous les avocats qu’il veut, ils lui diront tous qu’il n’a aucune chance de gagner un procès.
- Conclusion :
J’espère que ce message aidera toute victime ou témoin potentiel qui hésiterait à témoigner.
Ce n’est pas facile d’oser parler, mais vous pouvez obtenir justice pour vous + vous protégez les suivant(e)s, c’est personnellement ce qui m’a convaincue.
J’espère aussi inciter chacun à faire attention aux détails. La majorité de mon département avait vu certaines choses et se doutait qu’il y avait "un problème", mais ne savait pas quoi, et ne pensait absolument pas à ça (John est marié).
En cas de doute, vous pouvez faire un signalement anonyme auprès des RH - ce n’est pas parce que la victime reste souriante et esquive les questions qu’elle n’est pas en réalité impactée.
Enfin : tout le monde est convaincu que "le harcèlement, c’est mal", et qu’ils se comporteraient en héros si un méchant harceleur surgissait. Mais si la victime signale que le harceleur (ou la harceleuse ), c’est vous, ou votre "work bestie", cela peut être difficile à entendre - demandez-vous simplement si vous aimeriez que vos proches et les RH sachent comment vous vous comportez, et si la réponse est non, cela peut valoir le coup de changer vos habitudes.
Dernière modification par Lollip (13/02/2025 19h39)
Mots-clés : enregistrement, harcèlement, licenciement, moral, rh
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