#3576 19/08/2019 12h29
- Scipion8
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Effectivement, le patrimoine professionnel des agriculteurs représente en moyenne plus de 60% de leur patrimoine total. J’imagine que la mécanisation / l’automatisation des fermes accentue (et accentuera encore) cette caractéristique des patrimoines d’agriculteurs. J’imagine que le plus souvent, les agriculteurs qui participent à l’enquête Patrimoine de l’INSEE indiquent le coût historique de leurs équipements. Mais j’imagine que la valeur de marché de ces biens est différente, et probablement inférieure : il s’agit de patrimoines bien plus illiquides que des titres financiers ou même des biens immobiliers dans des villes attractives.
A mon sens, il ne faut pas tirer de ces chiffres de l’INSEE une impression que les agriculteurs seraient "privilégiés" par rapport aux autres professions. En effet (pour les points 1 à 4 je cite cette étude de l’INSEE, qui date de 2011, mais reste à mon sens valable sur ces aspects) :
1) Biais de l’âge : "Les agriculteurs, tout comme les chefs d’entreprise, sont en moyenne plus âgés que la population générale." C’est un biais statistique quand on compare les patrimoines moyens.
2) Motif renforcé de prévoyance : "Le patrimoine global des indépendants (agriculteurs ou autres) est croissant puis décroissant avec l’âge : il chute beaucoup plus fortement que celui des salariés au moment du passage à la retraite." L’accumulation d’un patrimoine suffisant par les agriculteurs a un objectif clef de prévoyance - préparer la retraite, moins facile que pour la plupart des salariés.
3) Transmission du bien professionnel de génération en génération : "Les agriculteurs se distinguent par un nombre plus important de ménages ayant reçu un héritage, professionnel ou non. Ce résultat est en partie lié à la structure plus âgée de la population des agriculteurs, mais peut également être mis en perspective avec les montants de patrimoine professionnel et les investissements nécessaires dans le secteur agricole. Les transferts peuvent être un moyen de lever les contraintes de liquidité des jeunes ménages au moment de leur installation." (Beaucoup d’exploitants agricoles sont enfants d’agriculteurs.)
4) Couples d’agriculteurs : "Dans le secteur de l’agriculture, le célibat touche davantage les hommes travaillant dans de petites exploitations peu rentables et dans des zones de production isolées. En revanche, le fait d’être en couple avec un autre indépendant favorise non seulement la détention mais aussi le montant de la richesse professionnelle. Dans notre échantillon, la majorité des couples où les deux personnes sont des indépendants exercent la même activité, que ce soit avec le même statut (associés, co-exploitants) ou de façon asymétrique (aides familiaux, conjoints collaborateurs, salariés de son conjoint). Ce résultat peut donc être vu comme le signe d’une activité suffisamment développée (et par conséquent avec des actifs immobilisés ayant une valeur élevée) pour permettre de faire travailler deux personnes. Dans le secteur agricole — où cette situation est de loin la plus fréquente — on retrouve donc le résultat de la politique de la modernisation de l’agriculture qui a cherché à promouvoir depuis les années 1960 une structure d’exploitation familiale, « l’exploitation à 2 UTH » (deux unités travail homme, c’està-dire le couple) pour permettre aux ménages d’agriculteurs et d’agricultrices d’atteindre la parité sociale et économique avec les autres groupes socioprofessionnels, sans recours au travail à l’extérieur de l’exploitation, mais sans reconnaissance non plus du statut professionnel des femmes." Evidemment, le fait que le couple ait la même activité accroît le risque économique pour le couple (en particulier dans une activité exposée à des prix alimentaires volatils) - alors que dans un couple de salariés, on peut le plus souvent espérer que l’emploi de l’un servira de "stabilisateur" pour le couple si l’autre perd son travail. Ce risque renforce le besoin d’un patrimoine élevé pour les agriculteurs (motif de prévoyance).
5) Sélection darwinienne (et douloureuse) : Surtout, l’échantillon des agriculteurs dans l’enquête Patrimoine évolue sans doute fortement au fil des mutations subies par cette profession. Il y a de moins en moins d’agriculteurs en France : beaucoup sont forcés de mettre fin à leur activité en raison de difficultés financières. Ceux qui "survivent" sont ceux qui ont des exploitations suffisamment compétitives, automatisées, robotisées etc., ce qui nécessite des investissements très lourd et conduit à un patrimoine professionnel élevé. Cela fait monter le patrimoine moyen des agriculteurs dans l’enquête de l’INSEE, mais il faut penser à tous ceux qui ont dû jeter l’éponge ou qui galèrent - même avec un patrimoine optiquement élevé, d’ailleurs : si les prix alimentaires évoluent d’une façon qui rend l’exploitation non rentable, alors la valeur réelle des biens professionnels est à peu près zéro (ou le prix de revente), et non pas le coût historique des investissements.
Bref, les agriculteurs sont très loin d’être des privilégiés, et le patrimoine moyen cache des situations bien différentes, et parfois très difficiles, dans cette profession.
AMF : Je suis Aveyronnais ;-)
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