Bonsoir,
J’ai pris le temps de lire l’étude du Pr Raoult publiée. Malheureusement, seul l’abstract est disponible gratuitement à ce stade (au 20/03) sur Elsevier. En revanche, un pré-print est disponible online
L’étude va être publiée dans la revue International Journal of Antimicrobial Agents (classée 54é plus prestigieuse revue en maladies infectieuses). De manière intéressante, le directeur de la rédaction est le Dr J-M Rolain, collègue du Pr Raoult à Marseille, et co-auteur de l’article. Niveau éthique et impartialité, ce n’est pas très engageant. On est plus proche de l’auto-publication que de la peer review… D’ailleurs, les mêmes avaient déjà publié un autre article sur le sujet il y a peu de temps.
Je vous propose quand même un petit résumé…
Protocole :
Sur le study design, nous sommes sur une étude mono-bras, open label et non randomisée. Donc le plus faible en matière de robustesse scientifique. Ils rajoutent en pseudo-comparateur une cohorte de patients d’autres centres, qui n’ont pas suivi de protocole d’essai clinique… mais sont quand même comparés. On le verra plus tard, la façon dont sont reprises les données de ce "control-group" qui n’en est pas un au sens normalement utilisé en essai clinique est à ce titre assez déstabilisante.
Les patients de Marseille on reçu 3x 200mg d’hydroxychloroquine par jour
Le critère principale de l’étude est l’évolution de la charge virale à 6 jours, avec pour critères secondaires les évolutions intermédiaires
Résultats :
Sur 26 patients traités par hydroxychloroquine :
- 6 ont été exclus car ils ont arrêté le traitement avant 10 jours
- 3 sont allés en réa
- 1 est décédé
- 1 est sorti de l’hôpital
- 1 a arrêté le traitement pour cause d’effets indésirables
- Sur les 20 patients restants, on constate une baisse de la charge virale progressive et importante, avec 70% de test PCR négatif (= plus de charge virale) au bout de 6 jours
- L’impact est encore plus prononcé pour les 6 patients ayant également reçu de l’azithromycine
Sur les 16 patients du "groupe contrôle" :
- Patients plus jeunes (dont pédiatriques) et au profil moins grave (25% asymptomatique vs. 10%)
- 9/16 patients n’ont jamais eu de test de charge virale PCR en bonne et due forme, ils devraient être donc exclus de l’étude
- Sur les 6/16 dont la charge virale a été mesurée, seuls 2 (33%) n’ont plus de charge au bout de 6 jours
On remarque aussi que dans les deux groupes, le test PCR passe parfois postif à négatif, puis repasse de nouveau positif, ce qui questionne la fiabilité du test.
Le "primary end-point" de la baisse de la charge virale a été atteint (mais ne prouve en aucun cas que celle-ci est liée à l’utilisation de l’hydroxychloroquine, cf. study design). Aucun critère clinique n’a été mesuré, mais on remarque tout de même que 4/26 (15%) des patients sous hydroxychoroquine finissent en réa ou décèdent pour 0/16 (0%) dans le "groupe contrôle" (mais cela, l’étude prend soin de ne pas le dire…).
En conclusion
Je suis assez partagé par cette étude, dans la mesure ou la solidité scientifique est limitée, mais surtout l’éthique et l’honnêteté scientifique est douteuse.
Si cela avait été présenté comme une étude prometteuse, avec des résultats à confirmer en mettant en avant les limites méthodologiques, j’y aurai sans doute porté plus de crédit… là, c’est présenté comme un remède miracle, en utilisant les chiffres de manière parcellaire et orientée, avec l’aval du bon copain directeur du journal où c’est publié…
Morceau choisi:
For ethical reasons and because our first results are so significant and evident we decide to share our findings with the medical community
Rien que ça…
En conclusion, peut être bien que l’hydroxychloroquine fait baisser la charge virale. Ou peut être bien que non…
En tout sincérité, j’aimerais bien que ce soit le cas. Si c’était le cas, on pourrait l’intégrer dans un protocole de traitement préventif, couplé à un testing à grande échelle. L’effet supposé du traitement étant une réduction de la durée de contamination (mais a priori pas des effets pendant cette période), on pourrait souhaiter un diagnostic précoce élargi, avec une éligibilité au traitement qui serait a évaluer avec soin au regard de la balance bénéfice-risque de chaque profil de patient. Alternativement, on pourrait l’utiliser sur des patients hospitalisés dans l’espoir de réduire la durée d’hospitalisation. Peut être aussi que les essais en cours permettront de mettre en avant une amélioration sur les critères cliniques, qui sont au fond le plus important. Wait and see!
Dernière modification par piwai (22/03/2020 09h47)